lundi 1 juin 2015

Entre les mimines de mon quaterback...


Optez pour une date d'intervention durant la belle saison.
Un bel ensoleillement printanier par exemple. Ne serait-ce que pour
bénéficier des bienfaits de quelques
rayons sur l'épiderme. Même si une seule guibole en profite.
Ensuite... attendez d'être servi!

"Allez! Le plus dur est fait. Y a plus qu'à..." 
C'est quand en guise de "bon vent" à J+1 le chirurgien vous envoie tous ses encouragements pour la séance de rééducation qui débute le lendemain de l'intervention que vous vous dites que le doc Édouard est décidément un sacré déconneur.  Mais trois secondes suffisent à vous rendre compte que vous vous marrez seule. On plaisante pas avec une ligamentoplastie; selon l'avis des experts. Pas de temps à perdre, des pyramides de marches sont encore à dévaler pour éviter les fameuses adhérences des chaires et accessoirement... l'engourdissement cérébrale de la malade. 
Tout cela se fera genou de traviole, cannes en main, guibole engoncée dans une attelle XS, rictus de douleurs et les cargaisons d'insultes étouffées qui vont avec... mais ça se fera.
Je hais les bien-portants.

Du coup mon front perle de nouveau. C'est devenu une habitude depuis que sur mon anatomie jusqu'ici sans handicap majeur, un chirurgien a pris sur moi de détourner un bout de tendon de son usage initial pour en faire un ligament croisé fixé dans le fémur pré-percé. Au réparateur de machine humaine déglinguée de remettre désormais tout ça sur pied.

Suis sceptique. Allez comprendre... dans mon état. 


Vous quitterez Edouard et votre chambre d'hôpital non
sans le feuillet des mille consignes du kiné de service.
Après les rayons du soleil sur transat, les exercices sur tapis de sol.
Rasoirs mais efficaces.

Au lendemain de l'affront chirurgical, la prise en main dans l'antre des mécaniques d'occasion est sans sommation. Tout juste remise d'un épisode épique de la veille qui avait consisté à tenter de me doucher. Un geste si anodin du quotidien devenu une épreuve de kho-lanta. Deux tabourets et un être humain dans une même cabine ce sont, il faut le savoir, deux éléments de trop en un même lieu confiné. J'ai pas trouvé mieux: un pour s'asseoir, l'autre pour y poser la jambe droite tendue et légèrement relevée de manière à ne pas mouiller les pansements. Un exercice de contorsion frisant le burlesque quand il ne manque pas de vous ruiner une mâchoire sur la faïence et vous provoquer deux lumbagos en un. J'aurai dû filmer cet instant "auto-infamant". Mais est-il nécessaire de vous préciser que le chirurgien préfère ne pas vous voir revenir pour un tendon fraîchement fixé, à nouveau arraché? Gaffe, gaffe, gaffe sera le mot d'ordre des longues prochaines semaines. 
 
Je vous passe la séquence d'essuyage à cloche-pied après avoir zigzagué entre deux sièges détrempés et négocié les différences de niveau entre sol et receveur. Tous ces petits détails qui faisaient votre fierté de décoratrice d'intérieur improvisée lors de la conception de la pièce d'eau... Quiconque a vécu ces heures aussi absurdes qu'éprouvantes peut ensuite tout accepter de ses futurs manquements à sa dignité la plus intime. Quiconque a vécu situation similaire songera aussi, à l'avenir, à se construire une cabine deux fois plus spacieuse. Pensez-vous infirme, mutilé, inapte, cul-de-jatte lors de vos prochaines séances shopping chez Leroy Merlin. Vous vous rendrez assurément service.
C'est décidé: je ne me lave plus jusqu'à la guérison. À moins d'être invitée par Mémé à la maison de retraite. Ils ont les mêmes sièges fixés au mur que dans ma regrettée douche d'hôpital.

J'en n'ai donc pas fini avec la maltraitance de mon moi. Car s'en remettre aux machinistes de votre charpente équivaut d'emblée à admettre votre propre vulnérabilité. Ce qui, à la moitié d'une existence jusque-là totalement valide, aurait vite fait de vous torpiller un moral d'acier. Et je reste polie.

J+2: on se défait de tous les nouveaux accessoires. Béquilles, attelle.... "Mettez tout de côté et allongez-vous sur le lit".  Les mains du kiné que j'avais pourtant déjà pratiquées pour la préparation à l'opération ont désormais l'air d'avoir quadruplé de volume.
 Plus elles s'approchent plus elles sont immenses. Des palettes de gardien de but. Et les voir ainsi s'agiter autour de mon genou rafistolé de l'avant-veille me rend nerveuse.
Première étape que le réparateur au polo siglé de son petit nom vous invite à franchir promptement : retrouver la commande "verrouillage du genou". Ce qui veut dire contracter son quadriceps (muscles de la cuisse) et agir sur la rotule jusqu'à "friper la peau" (sic). Fastoche.
Que non! La première sensation est fort désagréable. L'impression qu'un électricien-stagiaire a sectionné les mauvais fils et que la communication est rompue. Que l'ordre parti du cerveau ne parvient plus à votre jambe.
 
Les patches à impulsions électriques sont reliées à
un boitier à commandes. On vous laisse
même jouer avec le plus et le moins. Envoyez la purée, on s'y fait!

Pas de panique! Aussi déconcertante fût-elle, la sensation ne dure que quelques jours. Comptez en trois-quatre. Vous parviendrez alors à nouveau, en écrasant un coussin avec votre genou, à réduire l'espace entre le dessous de la jambe et la table. La paluche du quaterback s'y glissera même de temps à autre pour vérifier la réduction de l'écart. Et alors vous vous sentirez enfin digne de ces quelques centimètres grappillés. Un rien ravit quand on est diminué.

Ensuite il s'agit surtout de gérer l'oedème sous cutanée qui chaque jour en fin de journée vous permet de réchauffer un potage sur votre quille à quai.  Donc après dix bonnes minutes d'une séance de patches collés sur les muscles et reliés à des appareils à impulsions électriques, vous saurez apprécier la poche d'air froid pulsé avec laquelle les mimines de bûcheron envelopperont -délicatement peut-être- votre jambe.
Ce plaisir minuscule de l'existence se renouvellera chaque jour en fin de séance. Du moins je me le souhaite.

Car j'ai aimé ça tout de suite.  Comme la morphine, comme le zèle de mes blouses blanches, comme les petitdej VIP.

On verra plus tard pour les sujets qui fâchent...
          SgS 

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