mardi 5 mai 2015

Bibi-téléphone-maison


On ne parle pas assez de l'effet-bis des injections anticoagulantes.
Selon l'expérience de la praticienne,
la douceur du geste ou la qualité
de votre épiderme, les hématomes se répandent plus ou moins sur l'abdomen.
Le défilé Beach 2015 en maillot deux pièces est forcément à proscrire.

Se cramponner à son lit d'hôpital comme une dégénérée moliéresque est prendre le risque d'avoir besoin de "gens"  à domicile le reste de votre vie. Comment se passer de cette cantatrice qui louait à très hautes décibels votre bonne tension matinale à 11.5? Comment faire sans cette Nadine de R. exemplaire qui vous portait le petitdej avec banane en bonus? Comment quitter cette bonne fée qui s'enquérait de ma santé avant même que je ne monte en température ou ma blouse blanche préférée en chef qui me dénichait sans invitation la culotte qui gratte et pare efficacement à un oubli fâcheux? Rien qu'y songer me ferait actionner la sonnette. Accro à mes blouses en deux jours!
Et je passe sur les dégustations gratuites de fins chocolats, les cadeaux-végétauxs si délicatement odorant,les m'ringues de Vanessa faites maison, le fleuve de sms inquiets, d'appels empathiques, et les mails des collègues aux encouragements désolés à qui vous n'avouerez jamais que votre lit de misères a plutôt le design d'un transat au soleil. C'est tellement bon de se faire plaindre, tellement jouissif de se porter pâle-VIP. Non?


Il y a quand-même quelques avantages
à regagner ses pénates!

La plupart de mes semblables geint de demeurer couchée, moi, je me suis régalée à regarder le plafond de mes yeux ronds, à redécouvrir les increvables séries américaines à vous siphonner le cerveau jusqu'à point d'heure de la nuit, à monopoliser la télécommande comme une insomniaque shootée aux somnifères inopérants. Mais aussi, je le confesse ici, à abuser un peu du bouton rouge "au secours" juste pour goûter encore et encore au minuscule mais bienfaisant bonheur d'être ainsi le centre d'un monde. Même pour quelques heures...
Car tout se gâte lorsque contrairement à la belle au bois dormant du bloc réa (cf Morphine et vocation) vous excellez dans les exercices consistant à émerger promptement et à guérir vivement. La tendance de la maison aux troupes si zélées et empressées serait alors de vous indiquer la sortie.

Ainsi le furieux qui s'était piqué, trois heures à peine après la saignée 
au scalpel de mon ligament croisé, à me faire dévaler un étage de marches avant de le grimper à nouveau, est le premier instigateur de la déperdition de chaleur, du renvoi dare-dare dans mes pénates mosellanes, de la signature cruelle de mon bulletin de sortie. J'avoue, j'avais dans un premier temps de découverte, un chouïa dégouliné le long de mon échine ainsi plantée au sommet de l'escalier. Un peu comme une grand-mère sans déambulateur qui sait qu'elle va y passer car son gendre criblé de dettes déboule dans son dos.

Et puis les choses se font faites naturellement. Agrippée à mes béquilles, j'ai vite suscité respect et admiration dans les yeux de mon mécano post-opé. Rappelez-vous le type équipé de la machine à Mengelé...  "Parfait parfait! Voyez, c'est pas sorcier. Les cannes devant les premières et on avance la jambe blessée". Fière comme une majorette, j'attendais déjà les encouragements à briller sur l'épreuve suivante. Que dalle! Ou plutôt si. Elle a consisté à redescendre tout l'immeuble sans jamais en renouveler l'ascension. Direction l'A4. Bibi-téléphone-maison, flanquée de la fiche pratique résumant les exercices à réaliser en solo dans un coin de la maison. Seule, désormais seule.
Ah là, tout de suite, c'est moins drôle.

Premières épreuves: les trottoirs trop hauts, les pavés 18ème siècle descellés ici et là, le conducteur pressé qui n'a pas l'intention d'assister pendant une plombe à votre entraînement aux béquilles sur le passage pour piétons et enfin, enfin... Un véhicule, le vôtre, forcément trop étroit dans lequel vous allez devoir engouffrer une jambe de bois tendue comme un i après vous êtes préalablement gauchement défaite de vos cannes et avoir manqué deux fois de choir  lamentablement sur le bitume. "Pitié gardez-moi dans votre hôpital! J'arracherai moi-même un autre ligament. Avec les dents s'il le faut. Pitié!"



Comme le plâtre du membre brisé, les
maudites béquilles peuvent devenir
délicieusement collector.

Il faut le savoir, ainsi harnachée et privée d'amplitude, tout se complique dès les premiers minutes de fausse-liberté recouvrée. La terre ne tourne plus pareil. On a changé le système durant votre absence et vous n'en n'avez pas été informée dans le détail. Zéro mode d'emploi. Une cabale, une machination. Pour peu, vous entendriez presque les ricanements aux alentours. 66 millions d'individus valides... 
une seule handicapée!



Tout ça vous change un point de vue sur la mobilité réduite. D'ailleurs, depuis cette découverte de ma quasi incapacité à progresser sans mes deux guiboles, je ne jette plus systématiquement les appels aux dons susceptibles de faire avancer la recherche sur les couacs psychomoteurs. Et je signe toutes les pétitions pour la mise en conformité des espaces publics.
J'envisage même de m'acheter un labrador et une troisième canne... blanche. Tellement je redoute la mise en application quotidienne et à domicile des recommandations de Monsieur le kiné, les longs séjours chez le réparateur des corps cassés, les envies de pipi nocturnes qu'aucune blouse blanche ne viendra soulager au premier bip (allez vous asseoir plus de dix secondes sur une lunette de toilettes avec une attelle non-pliable!), les assauts répétés d'une infirmière armée d'une seringue qui doit vous éviter la phlébite à la con. Cette pro de la piquouse
 sera d'ailleurs très vite, aussi, à l'origine d'une disgracieuse myriade d'hématomes sur le rebondi de votre bidon et le haut de vos cuisses. On n'a pas encore inventé plus réaliste pour jouer les femmes battues.


J'en oublie les mille activités du quotidien qui, sans "gens à domicile" persistent à animer vos journées
: petit-déj' à préparer, machines à laver à gaver, sèche-linge à vider, lave-vaisselle à bourrer.

Le tout sans les mains, occupées à user le plastique de deux étais! Avec toujours cette envie pressante qui ne vous quitte plus depuis qu'il vous faut attendre le départ de la marmaille à l'école et de Monsieur au bureau. Disons qu'avec ma jambe ultra raide, j'ai pas trouvé plus efficace pour pisser tranquille avec la porte des water non closets!

Ça m'apprendra à avoir été si aérienne et fière dans mes déplacements. Ça m'apprendra à ne pas avoir assez aidé mémé à traverser la chaussée avant son grand saut dans les escaliers.

SgS.

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