vendredi 17 juillet 2015

Massez pas ou je tire!



En cadeau: les mains, les fameuses,
de mon quaterback. Après les exercices, la jambière
à glace est devenue plus rare, moins indispensable,
deux mois après l'opération, mais les massages
restent un must. Surtout lorsqu'ils sont
pratiqués... tout en douceur!  

Des semaines qu'on me vantait à grandes louches les "mieux-faits" du mois dépassé de quelques miettes! Ceux qui savent pour se charger de réparer les cagneux, ceux qui sont "passés par là" (soit une grosse marmite des 8 miiiiiille 700 fidèles -moi-même je n'en reviens pas- qui lisent désormais cette prose bi-mensuelle)  m'avaient prédit le cap des sensations meilleures, des mouvements plus vifs, plus assurés, plus euh... aboutis. Aucun ne m'a menti. J'ai fini par enfin y goûter. Je vadrouille sans grimacer, je déboule les escaliers, je fais la nique aux vieilles allées pavées, je fais la maligne sur mes deux pieds, bref... je suis à nouveau en totale interpénétration avec mon intégralité, je fais corps... avec mon intégrité.

Mon J-42 est encore frais en mémoire et en jambe. C'était devant l'école du petit dernier. Un samedi matin. De retour à la grille après le bisou d'encouragement, je me suis soudain rappelée un réveil sans raideur matinale. Un réveil comme les seize mille soixante autres d'avant la chute et depuis que ma charpente s'est mise à maîtriser la fonction marche. Soit depuis l'âge des bavettes.
Car des autres réveils je ne vous ai pas encore ou peu parlé. Ceux précédés de moult et soudaines sorties de sommeil dues à de fugaces impressions de paralysie partielle auxquelles on ne met fin qu'en s'arrangeant de petits râles de douleurs en pliant et dépliant le genou. Ceux grignotés par l'impatience de guérir, de se défaire de la contrainte. L'occasion de penser, beaucoup. De se repasser le film. De se remémorer en premier la piste d'avant la falaise, de cogiter sur l'absence de filet de sécurité, ou de dédicacer quelques recoins de sa mémoire à cette belle au bois dormant qui avait boudé son réveil post-opératoire. Il faudra d'ailleurs que je songe à vous en dire d'avantage sur cet oiseau de passage. 
Sans que l'on s'en rende vraiment compte, la quinzaine de nuits la jambe immobilisée dans l'attelle vous conditionne un tantinet une dormeuse. Mes stations sur le ventre ne font plus partie de mes heures obscures, celles sur le côté sont exceptionnelles. Je ne dors plus que sur le dos, mirettes rivées au plafond. La péripétie m'a fait grandir, je roupille comme une adulte, comme une retraitée, comme une prise en charge par la sécu. Mais désormais je me réveille mieux. Toutes les carcasses mûres ne sautent pas de leur lit. Moi, si!

Mais avant ce petit bonheur à la puissante portée psychologique, générateur de dopamine équivalente à une bouchée de chocolat 100% cacao qui aurait échappé aux euro-directives et pourrait vous filer l'envie de vous fracasser bénévolement le genou, il me faut vous dire l'effet de stupeur du massage made in kiné's home.  A J-93, je m'en souviens comme si c'était ce matin. 

La chose s'est produite à J-33. J'ai rien vu venir. Prise par surprise. Comme l'interro qui va vous recoller une moyenne dans les chaussettes. Au prétexte qu'il faut à tout prix éviter les adhérences des chairs sous les cicatrices, deux pognes aux apparences sympathiques, a priori, ont saisi mon genou balafré par quatre endroits. Encore à cette seconde, je crois toujours que le remplaçant de mon quaterback parti en vacances, a pensé que j'avais déjà deux mois de convalescence dans les carreaux. En même temps, je ne suis pas la seule silhouette bancale à traîner ses guêtres dans le coin. Allez vous y retrouver dans cette forêt de gueules cassées! En tous cas, notre contact fut intense, bref et mémorable.


Autre petit bonheur vers la sixième semaine après
l'intervention: le droit de se muscler à nouveau
et surtout, de se frotter à des appareils
jusqu'ici réservés aux champions du fitness: la presse en fait partie.

Le garçon s'est concentré sur une marque en particulier. La plus petite. Autant vous dire que je n'en menais pas large en pensant à l'instant où il s'attaquerait à la face nord de ma guibole et sa braguette violacée de dix bon centimètres. Mon cuir chevelu a picoté tout de suite et chacun des poils, chacun des ridicules duvets couvrant mon épiderme s'est dressé comme un régiment. J'ai pas moufeté. Enfin, pas tout de suite. J'ai pensé à une sorte de rite initiatique en me disant qu'à choisir, c'était toujours mieux qu'un genou emballé dans un gant rempli de fourmis rouges. Et puis c'est pas comme si j'étais au milieu d'une salle de fitness gavée de baraqués essoufflés, transpirant et décidés à battre leur dernier record sur la petite reine d'appartement. De quoi aurais-je eu l'air à pousser une Marseillaise, à geindre comme une chatouilleuse?
J'étais cramoisie. Plus je m'interrogeais sur l'opportunité de cette friction de légionnaire, plus le furieux me pénétrait les tissus avec ses deux pouces comme des têtes chercheuses. Deux pouces, c'était deux de trop. Ce fou en liberté avait trop de phalanges, trop de doigts, trop d'énergie dans le poignet. Je ahanais ou je me collais en apnée. Je le confesse ici: quelques larmes de fond commençaient à me mouiller le blanc de l'oeil à trop refouler mes... sentiments!

Jusqu'à ce qu'il jette enfin un regard dans ma direction et que je vois en cette petite attention providentielle la fin de ces souffrances localisées. Forcément, il ne pourrait demeurer insensible à la teinte suspecte de ma bobine, encore moins à ce catalogue de grimaces qui me ravageait la face. "Alors, tout se passe bien?" qu'il m'a balancé. Comment peut-on poser pareille question à un être vivant accroché à sa cuisse comme à une tronc de sauvetage et semblant chercher son oxygène? "Nan, ça va pas du tout, j'ai lâché sans respirer. J'ai un mal de chien, je crois que c'est un peu tôt". J'ai eu envie de le mordre, le sadique qui malaxait encore. "Non non, on est bon. C'est normal que ça tire un peu, ça tire toujours".  Si j'avais eu un famas, j'aurais tiré aussi. Normal.
Mais pas une seule arme dans les parages. Des crèmes, des lotions, des rouleaux de papier absorbant, des frites en polystyrène, des triples élastiques, des poids mais pas de carabine. Je me voyais bien le pendre à un espalier et lui forcer un petit grand écart avec deux gros sacs de plombs à 40kg l'unité, fixés à ses mignons ripatons. Oui ça tire aussi. Normal. Mais bon les accessoires, la violence tout ça...
J'ai ravalé et subrepticement replié ma jambe. Il s'est à nouveau retourné, l'air surpris du môme à qui on retire son hochet: "Peux plus", j'ai dit, déterminée à ne pas lui rendre ce morceau de mon corps maltraité. Juré-craché, il n'approcherait plus ce stigmate, témoin de mes tonnes de courage déjà dépensés jusqu'ici. Toutes les palettes du pourpre avaient mille fois envahi ma trombine durant ces folles trois-quatre minutes. Plus que je ne pouvais encore en supporter.
Pourquoi est-ce que les quaterbacks prennent des vacances?
"Allez, on en a fini! il a lâché. C'est bon pour aujourd'hui". J'ai déguerpi sans quémander mon reste. Fière de n'avoir buté personne, fière d'avoir résisté à la tentation criminelle.

Plus qu'un moyen-drôle souvenir. Entre temps, mon mécanicien désigné a réapparu, regagné la salle des tortures et retrouvé mon bout d'articulation sauvé in-extremis.  Et puis surtout, j'ai atteint brillamment ce J-42 aussi jouissif qu'un tout schuss dans une poudreuse matinale ramollie par un soleil des Alpes. Ou des Vosges.
Au fait, vous ai-je déjà raconté comment je me suis bousillée le ligament croisé? Je manque à tous mes engagements. Allez, puisque vous êtes désormais si nombreux à m'en réclamer le récit...

SgS.         

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