jeudi 27 août 2015

Comme un accroc dans ma cape


C'est parti pour le récit du vol plané
qui me vaut de refréner
mes ardeurs depuis six mois.
On a aussi la vidéo... c'est plus bas!
   J’ai perdu ma virginité sur une pente immaculée, au beau milieu d’une immensité gelée du massif Vosgien. Un roulé-boulé de plus et je finissais ma descente emmitouflée dans le manteau de la reine des neiges. L’ensemble de cette oeuvre tragique sous le regard circonspect de ma fille.

Attendre une quarantaine d’hivers pour finir avec deux cannes anglaises et la promesse de passer au bistouri, j’appelle ça se faire déflorer à maturité. Attendre une quarantaine de printemps pour, à l’avenir, ne plus esquisser un sobre tout schuss dans la poudreuse, une modique pirouette dans le sable, un galop modéré en forêt, un  modeste footing sur le bitume sans l’invitation systématique de vos enfants à la prudence, j’appelle ça se faire dépuceler la sacro-sainte image de mère de compétition, de super-maman à la maîtrise parfaite de son environnement.
Fini la spontanéité du geste présumé contrôlé, la fierté de l’exploit sportif du dimanche, des vacances et jours fériés qui récoltaient les hourras de votre progéniture émerveillée et admirative!

Les sans-minots se demandent forcément de quoi je cause; les autres ne le savent que trop. Hélas!
Tomber sous les mirettes de ses chérubins, choir à leur pied comme une poupée chiffonnée, se rétamer lamentablement dans leur viseur n’est pas juste écorner le cliché agréablement lisse de la perfection parentale, c’est mourir un peu.
Et se faire ouvrir un genou, c’est gémir en bleu!

  Mais je survis. Depuis six mois, j’ai eu le temps de me repasser la bobine et progresser vers un début de quelque chose qui ressemblerait à une ébauche de c’est-bien-fait-pour—moi.

Combien parmi vous (vous êtes 10 500 sadiques à ce jour!) ont espéré visionner la
vidéo du crash?
Je n'ose attendre la réponse! Un joli paysage ne vaut-il pas
mille figures de style.

Noire pour la couleur affichée. 45% de déclivité et des bosselettes à la pelle creusées pour les champions du slalome chronométré. Une descente suffisamment matinale pour s’assurer un sol glacé à souhait et une voie aussi étroite que ces petits chemins ruraux de village qui vous conduisent au cimetière communal. Je ne crois pas si bien l’écrire; cette bretelle-là menait tout droit à la concession familiale!
Mais ça, je ne l’ai remarqué que trop tard. Après avoir invité la chair de ma chair à prendre à moins cinq kilomètre/heure le couloir plat en chasse-neige qui longeait la piste et à m’attendre dans le virage, dix mètres plus bas, je me suis lancée. Tête et corps perdus.

La prise de vitesse a été fulgurante. Tout juste le temps d’une petite remarque: le loueur de ski m’avait farté les spatules comme un rémouleur de… haut-vol. Je glissais sur deux couteaux affûtés comme les griffes du Yéti. Sitôt la première bosse contournée à gauche, je négociais la seconde à droite, puis la troisième à gauche, puis la quatrième à droite. À vous coller, certes, le mal de mer mais à vous laisser bouche bée de vénération un télésiège de petits héritiers.
Un emballement frénétique, chaotique. Et ma fille si fière de sa mômon ! Puis mon radar a calculé l’horizon. J’ai bien vu les petits décrochages sur son spectre qui balayait mon champ de vision. Ma zone cérébrale de l’écriture a formé une seule et même combinaison de lettres annonçant le pire: ravin. Jusqu’à ce que mes deux pupilles dilatées complètent l’information: ravin sans filet!
Je me voyais déjà en gratin de Schumacher. J’ai actionné tous les boutons clignotant du tableau de bord de ma fusée à réaction, levé et baissé les manettes réfléchissantes, réduit les gaz. Tout ça dans ma tête prise de bouffés délirantes… Dans la vraie vie qui filait à trop vive allure pour m’éviter le grand saut et le crash, je me suis d’urgence et gauchement assise dans mes pompes. Mauvaise idée: mon rémouleur de compétition avait serré mes attaches comme un forain assemble son grand huit. Un double tour de clé à molette sur chaque écrou. Rien n’a lâché.

Enfin presque rien.

Avec une articulation faisant levier vers l’arrière et un ski enfoui sous la neige sur l’avant, ne parvenant pas à  se déboîter de la chaussure, comment pouvais-je m’en sortir indemne? Les éléments ont continué à se déchaîner. Après ce refuge express sur mes fessiers dont je pensais qu’il stopperait net ce pitoyable remue-ménage de corps désarticulé , un roulé-boulé supplémentaire sur le côté s’en est suivi avec deux skis tortionnaires qui poursuivaient leur entreprise de destruction d’une partie de mon anatomie. Sans ce bonus improvisé, le spectacle aurait, c’est vrai, été de trop courte durée. N’oubliez pas que la fifille à sa maman était aux premières loges!

J’ai ainsi maladroitement progressé vers son confortable point de vue. Après l’envol de mon bonnet de laine, j’ai pu tour à tour apercevoir son regard interrogatif, inquiet, partagé entre amusement et gravité. « Tout va bien maman? C’est bizarre ce que tu nous as fait ». Puisque je n’étais pas censée avoir mal, je n’avais pas mal. Puisque je n’étais pas censée être sonnée, je ne l’étais pas non plus. Une vraie "Mum pride".
J’ai rassemblé tous mon bazar éparpillé: bonnet, gants, bâtons, esprits… après avoir décroché mes skis en appuyant comme une damnée sur les appuis. Une de mes articulations déglinguée et douloureuse remise un peu près à l’endroit, j’ai fait mine d’être emplie du bonheur du casse-cou satisfait de sa prestation. « Ça va ça va, ma chérie! Fallait que je m’arrête, t’as vu le paysage derrière toi! » J’ai rechaussé. Contre les mille arguments de ma raison qui m’invitait plutôt à hurler ma douleur  au ramassis de sommets face à moi jusqu’à l'arrivée d’un super hélicoptère et ses super hommes du ciel qui descendraient m’injecter un super cocktail abrutissant avant de m’emmener sur leurs doux nuages, enveloppée dans une couverture de survie!
Mais je suis une "Mum pride".

Rotule, muscles, tendons, tout semblait flotter à l’intérieur de ma jambe et émettre le bruit d’un décapsuleur. Mais il me fallait redescendre ce mur au pied duquel quelques spectateurs s’inquiétaient déjà du sort de la Reine des neiges. Je ne me savais pas si imbattable en serrage des gencives!
Une heure après le gadin au ralenti, mon genou clignotait, un coeur tambourinant y avait déjà pris ses quartiers. La glace souillée dont je l’avais couvert en attendant le retour du reste de la troupe n’avait fait qu’anesthésier les couches supérieures de l’épiderme. Dedans, c’était Minecraft. Trois heures plus tard, attablée dans ce restaurant où l’on fêtait la fin d’un séjour vivifiant et si réparateur, je réclamais mon troisième Sancerre tant le taux d’alcool parcourant mes veines, envahissant mon corps et embuant mon esprit, me procurait un bien dément. Je n’avais jamais picolé autant à l’apéro.

Une nuit de dégrisement avec sac de petits-pois congelés sur le genou plus tard, c’est aux urgences que j’ai payé l’addition: entorse sur les deux ligaments latéraux et suspicion d’arrachement du ligament croisé antérieur. 
Le prix d’une promesse: emmener ma fille sur une piste noire.
On est une maman avec une cape ou on ne l’est pas.

SgS.

À trois mois de l'opération, je vous promets
de vraies belles sensations. Et puis surtout,
c'est la période durant laquelle j'ai pu enfin
rejoindre le club des vrais valides sur
des appareils qui font réellement transpirer.
Comme le vélo elliptique mais aussi le stepper...
ou l'impression de gravir la montage de Sisyphe!
 





   

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