lundi 23 novembre 2015

Au diable les bovins!

     
Au bout de quatre mois de soins et exercices,
il vous sera possible, déjà, ou enfin, de reprendre quelques
activités délaissées.
Un bol d'air un vrai.
Surtout pour Médor et son pote Jolly Jumper!


  J'ai proféré des rafales d'insultes à l'endroit de mes voisins ces sportifs de salle de kiné. Toutes restées secrètes dans ma tête, cela va de soi, mais tout de même. Des scénarii relevant parfois, je l'avoue, de la psychiatrie. Mais après ces kilomètres de lignes à vider mes tripes sur vos écrans, après toutes ces semaines à déverser mon fiel sur les bien-portants et vous imposer irrégulièrement des nouvelles de ma rotule, je ne vais pas, subitement, me métamorphoser en mère-Retenue. Même si, il faut bien le dire, entre temps, le supplice est devenu moins, beaucoup moins, encombrant. Un petit calcul rapide et vous aurez compris que l'aventure a récemment touché à sa fin. Mais foin de précipitation!
Ce serait malhonnête, voire fort mal élevé de ma part, après ces longs mois de blog-réalité, de vous révéler tout de go comment s'achève cet interminable chemin de traverse... Et vous planter-là sur votre fin. Dans mille lecteurs supplémentaires à peine, vous serez vingt mille à prendre des nouvelles depuis la première lettrine de cette traversée du désert. Je m'en voudrais de ne pas vous en donner encore pour votre surprenante fidélité.  


 Je n'en ai en effet pas tout dit de ces frustrations générées par l'incapacité, n'en ai pas fini de disséquer la psychologie humaine dans tout ce qu'elle a de plus suspect. La mienne? Que non. De celle-là vous n'aurez, jusqu'à la fin, que les tourments. Celle de l'Autre, cet enfer. L'Autre qui vous nargue, vous défie, vous sape la volonté quand souplesse et autonomie vont font un peu la nique. Encore un peu, et à cause de lui, je finissais paranoïaque !


 Six mois à vous livrer ce qui me traîne sur la patate, ce qui me fiche au ralenti, me colle au tapis, je ne vais pas retenir les chevaux en si bon chemin...
 

Car qui, franchement qui, apprécierait d'observer des bêtes de somme frôlant les records sur des monte-charge à muscler des bovins reproducteurs tandis qu'on vous interdit trois foulées de biquette hystérique sur un tapis de course électrique? Des humains forcément dotés de bon sens.

Jamais je n'ai laissé, ici et ailleurs, supposer que j'étais... parfaite!




Le vélo elliptique fait partie des  premiers appareils
sur lesquels vous remonterez au bout de trois à quatre
mois de musculation sur la presse et la machine à ishio-jambiers

Quatre mois un peu plus post-opératoire. Presque cinq. Un seuil. On m'avait promis de me laisser m'agiter. Un peu. Une voisine, en catimini, m'a confié, à ce même stade, être repartie user le tablier. "C'est bon là. Ras-le-bol de me traîner. J'ai même plus mal". Elle s'en est revenue dix jours plus tard. À peine. Désolée mais peu décidée à avouer à notre parterre de kinés dévoués, s'être laissée un peu trop allée à l'enthousiasme. Humain. J'ai promis de ne pas la balancer.
Moi, je vous l'avoue, cette situation m'offrant le prétexte sur un plateau commençait à bien me plaire! Jamais je n'avais été autant disciplinée à ne surtout pas trop gigoter. "Tu viens recourir un peu?" "Oh la non surtout pas! Pas encore a dit le kiné. Trop tôt, beaucoup trop tôt. Encore deux petits mois".

J'aime bien, des fois, ou plutôt depuis que mes fesses les premières se sont ensevelies dans la poudreuse, jouir de m'affaler une peu sur moi-même. Opter pour l'apéro en terrasse plutôt que le footing médical sous un cagnard juilletiste ou une pluie diluvienne aoûtienne...  Si je devais trouver une qualité première, comme ça, à l'arrache, à cette galère passagère, je concèderais qu'elle m'a offert, cinq mois durant, l'opportunité de me faire violence, mais sans excès! J'ai pris soin de profiter, comme on dit. Soin de ne point trop tourbillonner des fois que la cheville en glucose se serait piquée de libérer son prisonnier avant que la moelle osseuse ne se reforme et séquestre à jamais le tendon devenu ligament (cf: Sucré... salé) 

Où en étais-je? Les bovins membrés et la chevrette lénifiée.


  Tandis donc que les bestiaux se musclaient, suaient, expectoraient leurs poumons,  inspiraient et expiraient ostensiblement, je grimpais sagement. Une sorte de montagne de Sisiphe. Vous vous rappelez, le mythe. Le sommet vers lequel tend le héros grec mais qu'il n'atteindra jamais. Une punition des Dieux. Je n'avais pas de rocher à pousser, juste ma guibole à dérouiller mais l'effort devait être congénère. Une nouveauté dans mon parcours d'estropiée: un stepper pour moi toute seule mais pas que. Mon quaterback était désormais d'humeur grand seigneur... dix minutes de course à pied m'étaient consenties. Le premier m'obligeait à aller chercher l'effort, toujours plus loin, plus haut puis plus bas, à appuyer sur les chairs désormais cicatrisées, à solliciter longtemps les muscles déprimés; la seconde me rabibochait enfin avec mon moi d'avant le gadin.



Chemins boisés me revoilà! À cinq mois, la cicatrisation est faite.
Plus aucune crainte à avoir quant à la tenue
du ligament raccroché.
Seul conseil de l'expert: éviter encore les rotations.
Jusqu'à six mois au moins.
  Je l'avoue, la première foulée m'a rendue toute chose. Quinze mètres de piste à peine mais c'était déjà ça. Surtout, l'occasion tant espérée autant que redoutée, de vérifier que tout fonctionnait. Un drôle d'émoi. J'étais zélée. Je sautillais. Repliais mes talons jusqu'aux fesses bien plus que nécessaire comme si je voulais que cette course de moins que rien, cet échantillon de mouvement, efface en dix minutes, la cargaison de craintes et de doutes tricotée toutes ces semaines. Il paraît que je boitillais subtilement. Un truc psychologique a dit l'expert qui n'avait rien manqué de mon nouveau départ, de ma renaissance sur un tapis de caoutchouc rouge.  Le corps et l'esprit qui se reconnectent, la machine qui se réveille. Rien remarqué. Je n'ai songé qu'à tous les possibles à venir à nouveau.
Les retrouvailles avec mes environnements naturels improvisés, la prochaine communion sur sentier boisé.



J'ai aussi gambergé que le troupeau de bestiaux pouvait bien allé se faire voir et avec lui ses respirations bruyantes, ses épidermes luisants, ses tissus d'aisselles humides, ses records imaginaires à pulvériser, ses regards en douce comparant la performance, ses contentements perso de tant d'époustouflants progrès comparé à la voisine diminuée.     

  Je me suis dit que je n'étais pas cassée. Que l'effort était certes mesquin mais que je n'étais pas encore tout à fait bonne à remiser. J'aurais pu courir encore et encore ainsi portée par je-ne-sais-quoi de vaillant, par une énergie débordante. Il faisait gris dans le ciel quand Sisiphe a cessé son ascension désespérée, il faisait soleil quand  mon quaterback a invité l'Héraia qui avait infiltré ma carcasse à ménager sa monture. "On arrête. Faut y aller doucement. C'est bon pour aujourd'hui".


Et pour demain? Rien n'était moins sûr. Une drôle de bécane n'attendait que moi: la machine à grimaces. Tous les athlètes de pacotille m'y avaient fait découvrir leurs plus belles singeries, leurs rictus les plus décrépis, leur volonté d'acier à être meilleur que la fois précédente tandis que je caressais sans jamais me forcer une presse fixée sur vingt kilos maxi.

  Quand on déboule par obligation dans une salle de kinésithérapie et que Schwarzy en cramoisi hennit en cherchant son oxygène sur sa bécane à forcer les flexions, vous vous dites que dans votre état, tout cela ne vous concernera jamais.

  Puis les jours passent, les semaines trépassent, les mois s'annulent et le jour vient où un kiné empressé, sourire en coin et l'oeil torve règle l'automate.

Mon tour était revenu...

SgS.

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