lundi 27 avril 2015

Franche déculottée

La fameuse machine à flexion ne fait
pas dans la sensiblerie.
Mais je dois l'avouer à ceux qui devront
aussi s'y frotter: elle fait tout en douceur
et surtout, vous rend fier d'emblée de vos premiers exploits.
Aussi peu olympiques soient-ils!


J'ai la démarche chaloupée d'un bouledogue poliomyélitique depuis qu'on ma détourné un tendon de cuisse... Et que veulent savoir mes 680 premiers, fidèles et impatients lecteurs ? Si la belle au bois dormant mon ex-voisine, a quitté la réa les pieds devant! 


Et comment j'ai fait pour aller me soulager la vessie avec dignité en sautillant sur un seul jarret pour éviter l'affront de l'infirmier de garde chargé de m'initier au popot de chevet à l'horizontale ? Et comment j'ai ôté la blouse option fermeture dorsale exclusive, en me contorsionnant tel le lombric pour éviter l'exposition de ma sphère très intime à une tribu de soignants inconnus en réunion de chantier dans ma chambrée ? 

Nan parce que la prise en main post-opératoire du patient encore sidéré est autrement plus passionnante que le "trépassera-trépassera-pas" d'une comateuse gavée au curare... Je veux ! 
Un phénomène plus invasif que l'armée de Xian. Avec en lieu et place des soldats d'argile, de vrais fantassins animés et empressés. De quoi vous dévergonder un télésiège de pudiques. Qui pour vous remasteurisé l'oreiller en cathédrale, qui pour régler méticuleusement la télécommande d'une lucarne à cinq chaînes, qui pour vous expliquer le mode d'emploi d'une alarme au mono-bouton rouge, qui pour vous passer un QCM sur le rangement de votre valise: "Allez on va enlever tout ça, on se met un peu à l'aise. Elle est où votre culotte? Vous voulez un pyjama de quelle couleur? Non parce que c'est important vous allez voir... On enfile ses petites affaires et hop on se sent comme à la maison! Je trouve pas la culotte... Là dans la pochette? Non plus..."

J'ai oublié la question de l'ingénieur EDF. Je ne sais plus s'il veut réellement que je m'exerce aux interrupteurs à actionner à distance ou si je dois d'abord procéder au repérage de la cuvette de lit avec la spécialiste du soulagement intestinal. Il y a aussi l'infirmier-stagiaire qui me fixe avec insistance, regard d'élan battu. Me supplie silencieusement de lui abandonner mon bras pour y scratcher la poche à pouls. "Attention on sert pas trop sinon la dame fera un bleu". Lui-même peine à se concentrer sur le sujet dans cette ruche à vous rendre pâle un légiste des Experts. Alors de là à se rappeler sa dernière interro...

J'avoue;  j'adore qu'on me cajole le corps, qu'on me tienne la jambe, qu'on me peaufine le grain, qu'on me câline la couenne... Mais là je sens un truc froid qui force l'entrée. Qui m'écrase le biceps pour passer sous le tissu plastiqué. L'étudiant a séché le chapitre agilité-rapidité-efficacité, se fait la main sur ma musculature-mayo comme il peut. Plus il gonfle la brassière rigide plus mes doigts s'engourdissent. Sa tutrice est désormais totalement immergée dans mes petites affaires, le pro des ampères a sa sonnerie sms qui s'affole tandis que mes deux brancardiers tentent de démêler l'écheveau perf-câble-cordon... avant-bras. 
Un sympathique minois m'invite avec le sourire à ne pas me désaltérer en même temps qu'elle abandonne une eau minérale fraîche sur le plateau-roulette. Une pub Schwepps sous les tropiques me ferait baver pareil. Qu'il faut d'abord qu'elle prenne les consignes du côté du room service. Il faudra aussi patienter plusieurs heures avant de me sustenter. Ma jambe fait désormais chaudière. Le mille-feuilles pansement-bas-de-contention-attelle me fait déjà bouillir les sangs.
Le stagiaire aura un "vu": ses données sont celles d'une jument en gestation. On me regarde quand-même deux fois avant d'acter que je suis sans fer et sans crinière. Et c'est moi qu'on soigne!
"Vous les rangez où vos culottes?" 
" Je vais reprendre votre pouls"
" C'est tout bon pour le bouton d'alarme Madame?"
" Nan, pas de plateau-repas avant deux bonnes heures!"
"Prenez vos sept pilules maintenant"
Quelles culottes?-Encore mon pouls!-Je peux appeler à l'aide tout de suite maintenant?-Pas faim ça tombe bien-On peut partager les cachets, y en a assez pour un after.

"Non, vous compterez les marches. Le kiné va arriver".
C'est le petit plus en sus, le bonus sur la guibole: la visite du mécano. On est trois heures à peine après les retouches de Cousette qui a tout reprisé de l'intérieur et on voudrait que je me tape les marches du palais avec mes jolies cannes neuves. Je sais déjà que la couture va lâcher. Au secours Edouard!
Quand on parle du loup... On n'est plus à une blouse blanche près en plus dans mon 12 mètres carré. "Vos sortez demain et rekiné après-demain pendant quatre bons mois. Au mieux. Tout s'est bien passé. Vous l'avez votre genou neuf!" Neuf, neuf... Plutôt d'occaz. Quand je vous le disais qu'à côté, la belle au bois dormant, c'était du Disney.
"J'ai pas votre culotte. C'est pas bien grave, je m'occupe de ça, vous inquiétez pas".
Je m'inquiète si je veux. Je la vois déjà revenir la mère Claude avec l'affriolant accessoire de papier mâché qui va boulocher à peine frotté entre les draps amidonnés. La culotte de grand-mère cousu au fil de pêche  qui va me desquamer l'épiderme que la bétadine a déjà attaqué la veille et me faire bailler les... euh... corneilles.

J'ai pas pensé à compter les étages de l'hôpital. Chambre 300 et des poussières. ça nous fait déjà deux escaliers par palier.
Faudra que je songe à me pencher un peu vers le ciel voir si j'aperçois la faîtière.
Je vais attendre le repli des troupes zélées.
Cul nu, ça ferait désordre.
Pas le temps de dire six fois au revoir, vlà déjà un nouveau soldat. Mon tortionnaire préalablement annoncé s'est équipé d'une machine époque Mengelé. Une cage à jambe frangée de sangles et raccordé à un transformateur. 680 V? J'ai bien lu. Je divague déjà. Mon front perle. Quoi encore avec la dormeuse?

Je ne passerai pas cette épreuve. Je vais y rester. Et sans culotte de papier.
SgS. 

mercredi 22 avril 2015

Morphine et vocation



Plus virile que le tatouage! Selon mes informations, la balafre,
cousue de l'intérieur, ne laisserait apparaître, une fois cicatrisée,
que l'équivalent qu'un trait de Bic blanc sur la peau. Je vous
confirme ça dans quelques mois. Ou pas!

Madame, faut réagir  ! Allez on ouvre les yeux, on me parle un peu!"
Ce sont les premières petites notes de musique métal-rock qui ont bercé mon réveil. La situation rapidement appréciée de mon point de vue à 160 degrés, il semble que ma voisine de réa plongeait tandis que j'émergeais. Une blouse bleu masquée lui décollait les tympans pendant qu'une voix doucereuse murmurait à mon oreille droite. "Pas de bobo? Si vous avez mal, surtout vous me le dites
Hmmmm. Un songe. Apparemment j'avais tiré le bon numéro. Ma blouse bleue à moi était la gentille. Ma blouse bleue à moi fleurait bon les mots doux et la voix tiède.

"Allez Madame, hop hop! on se réveille maintenant, il est temps" insistait encore et en fanfare la blouse impatiente. Tapant désormais bruillamment dans ses deux mains gantées. Je craignais le pire pour cette semblable indisciplinée qui rallongeait le roupillon et commençait à foutre le bourdon à tout le service. Moi-même je n'en menais pas trop large. Interrogeant gravement mes quelques neurones tout juste rallumés pour tenter d'analyser au mieux cette scène "tarantinesque" qui m'exposait peut-être à un trépas en direct...

Est-ce qu'on rêve sous anesthésie? Ma bienveillante soignante continuait à s'enquérir de ma petite santé... "Sur une échelle de 1 à 10, comment notez-vous la douleur?" Moi je voulais savoir où en était la belle au bois dormant avec son repos semi-éternel.
Par réflexe je tentais l'esquisse d'un soulèvement du haut de mon corps guimauve pour jeter un œil au sujet inerte et mutique de tant de barouf, quand une flèche à la pointe émoussée a traversé mon genou. Sans prévenir la traitre! Me rappellant d'un coup d'un seul ce que je faisais là, la raison de ma figuration au casting du club des masques, le pourquoi cet infirmier beuglait à quelques mètres de mon brancard de galère. La bobine s'est enclenchée en replay:  piste noire, ligament croisé arraché, Édouard aux doigts d'argent, billard, cheville en glucose et... la vé-ro-le-cin-trée ! On m'avait éventré le genou.

Est-ce qu'on cauchemarde sous anesthésie? J'ai tout de suite pensé au drain. L'un de mes proches improvisés médecins-Merlin -il se reconnaitra- m'avait prédit le tuyau en latex jaunâtre, l'exo-squelette d'où s'écoule le liquide noirâtre et visqueux. Le reliquat pourri de votre intérieur quoi. "Madame on se réveille, vous m'entendez!" Je pressentais avec angoisse l'arrivée imminente du charriot à choquer les grands plongeurs.
Pouvais-je décemment réclamer que l'on m'informât immédiatement sur l'état du bout de silicone qui faisait communiquer mon dedans avec le dehors alors que l'on s'apprêtait sans doute à sortir la boîte à baffes électriques, à mettre les urgences en branle pour sauver une vie au bout de mon lit ?

J'ai tendu une main pour tâter du terrain mais la perf' qui l'emprisonnait à une potence était plus costaud que mes muscles ramollos. Un autre râle s'est échappé du fond de ma gorge asséchée au gravier. Ma jambe pesait une tonne, semblait emballée sous-vide. J'ai vu bleu. "Bobo?" Le bleu de ma blouse gentille. "J'ai un grain, un drain, un drain je veux dire?
Une petite fiole est passée dans mon champ de vision approximatif aveuglé par les halogènes de thanatopraxie. J'ai entendu un lointain "ni grain ni drain. Reposez-vous". Non non pas dodo! Pas avant d'en savoir plus sur la dormeuse qui joue les prolongations... Réveillée? Saine et sauve? DEAD?!
Mais la morphine est plus forte que toi, que toutes les feignasses de la galaxie. Plus forte qu'une douleur de fémur percé, de tendon coupé-raccroché, de rotule dévissée, de chair découpée. 

J'aurais dû faire junkie dans la vie.

SgS. 

mardi 14 avril 2015

Sucré... salé



Vlà le cuissot de M. Larousse qui a eu l'amabilité de faire le modèle.
Avec un ligament croisé et un tendon intacts...  cela va de soi.


Je vais prélever un bout de tendon". Les mots du doc ont craqué. Comme un petit os de grenouille broyé par une mâchoire humaine au déjeuner de Noël.  
"Prélever un bout de tendon". Edouard m'a clouée au matelas. KO intérieur. Un truc a raccroché dans mon fond de gorge. J'ai ravalé. Je ne voudrais pas passer pour une sensible de la chair, une chatouilleuse de la rotule. Enfin quand-même. Si je m'attendais à ça. "Prélever un bout de tendon". Mon boucher dit le même genre de trucs. "Vous prenez le gras avec, j'vous l'emballe ou je vous l'ôte?" Chez le commerçant, ça fait toujours un peu TP de vivisection; dans une clinique, la formule est chirurgicale; fait le bruit du scalpel. Pourtant j'étais sujet de mille prévenances. Dr. Edouard a vite senti qu'il fallait y aller mollo sur les annonces de fin-du-monde. "À l'arrivée ce genou sera comme neuf". C'est quand qu'on arrive?

Pénétrer dans le cabinet d'une blouse blanche qui ouvre des jambes comme vous lardez un steak pour lui cuire l'intérieur est toujours un instant étrangement religieux. Un brancard au centre d'une pièce immaculée, une étagère unique sur laquelle repose la déco minimaliste: deux sections de genoux ton cadavre flanqués de prothèses en titane trempé piquées à Iron Man. Des spécimens. Il y a aussi le bureau du maître. En verre poli dernier cri. Là où le doc repu de détails sur votre anatomie vrillée se saisit d'un dictaphone auquel il relate par le menu ce qu'il vous gratine. Un instant de solitude clinique exceptionnel... Tout ça après avoir imité l'alphabet avec votre articulation, il faut s'en rappeler.
J'aurai bien pris un ou deux genoux à mon cou mais le plus défaillant voulait connaître la suite.  Et vous aussi!


Ce tendon donc? Sur l'extérieur de la cuisse il ne souffre pas, semble-t-il, d'être un chouïa détourné de son usage initial. D'ailleurs je préfère "détourner" à "prélever", ça fait moins bruit de fourchette qui racle l'assiette en grès avec son pote le couteau aiguisé. C'est lui, décroché par un bout, repassé ici et là dans la zone rotulienne et refixé (criiisss, fourchette!) dans l'os du fémur qui fera tout le boulot à l'avenir. Un ersatz de ligament croisé. En fait de "refixé" c'est plutôt (criiisss, fourchette!) ... vissé. Ah les gros mots me reprendraient presque si je ne me retenais pas. Je résiste.

Oui "vissé", vous avez cru bien lire.
Edouard est un vicelard. Soigne le détail: "Oui, on fait un léger trou avec une perceuse et on loge cette petite vis que voilà"

Le bidule est entre mon pouce et l'index. Transparent comme du plexiglas. Léger et dur. Si j'puis me permettre la remarque de madame Bricolage, on dirait plutôt une cheville. Une nausée arrive. J'ai un truc qui passe pas avec les corps étrangers à l'intérieur de mon intégrité.  Edouard a senti venir la bascule de la patiente éprouvée, tête la première sur son carrelage en granit. Et le trauma crânien improvisé: "Pas de panique, c'est du glucose. Il va se désagréger et l'os se reformer et pincer le tendon".

Du glucose! Pourquoi j'ai pas fait médecine? Trop long. Du glucose... Du sucre quoi. Qui va fondre comme dans une tasse de café fumant en même temps que le fémur rebouchera l'outrage de la Black&Decker. Tout ça sous l'effet de l'irrigation de la machine interne. Génialissime! Je suis bluffée. Le cours magistral d'Edouard me ferait presqu'oublier qu'avant la trempette du canard, il va bien falloir éplucher tout ça. Un instant de grâce, une petite échappée, le  voyage de l'inculte. Me voilà rencardée sur le sort de mon voisin du premier palier.
C'est confirmé, je le sais désormais: une heure durant, mon bout de jointure va bel et bien morfler pendant que je roupillerais.

Mais j'échappe à un rejet de plexiglas. Pas rien.
SgS.



vendredi 3 avril 2015

Edouard aux... doigts d'argent


La cryo avant le bistouri...

Il a bidouillé un S avec mon genou. Comme on déforme une frite de piscine. J'ai pensé à Lanvin: "Alors lui c'est un malade i'm'touche pas! » Bon rétablissement. Le film est une blague, mais la saillie fait mouche.
A cette différence qu'en sous-cutané, dans la vraie vie à moi, le croisé de droite a lâché sans rire et que par effet induit, cette articulation qualifiée de géniale de l'anatomie humaine, aurait pu sortir de son rail. Enfin c'est ce qu'on m'a dit.

C'est aussi ce que j'ai vérifié auprès de ce doc à la réputation de cuir qui persiste à me tordre le corps. Une renommée aussi dure qu'un ballon rond. D’ailleurs ici, entre les murs dépouillés de ce repaire strasbourgeois "du traumatisme du membre inférieur" comme disent les initiés, ce sont surtout les footeux qui traînent leurs mollets bandés défigurés par un stop manqué ou un virage mal négocié. "Des handballeurs et des skieurs aussi" a ajouté le chirurgien en me triturant maintenant le jumeau sain.
Je ne suis ni l'une des premiers ni des seconds. Tout juste de la troisième catégorie pour pratiquer la spatule alpine à peine une semaine l'an. Je vous laisse alors imaginer ma trogne quand la blouse blanche aux doigts d'argent a lâché les trois mois de mitard qui m'attendent avant de rechausser ne serait-ce qu'une petite basket, un minuscule étrier. Même servie avec le sourire "oh darling", l'info provoque la triple fracture du cortex. Tout ça pour ça putain!

Elle fait aussi dire les mots moches. Le microscopique bien fou qui va avec. Dès que je sors de ce cabinet aseptisé tout-bien-rangé-comme-sur-les-papiers—glacés, je le hurle sur le boulevard; le balance à la tête des écrasantes façades hausmaniennes.
Dire que c'est ici, dans la future capitale de l'Alca qui fait s'arracher leurs derniers cheveux blancs à trois patrons de régions que mes derniers espoirs de préserver jalousement entre mon tibia et mon fémur mon petit macchabée de lambeau, ont été pulvérisés par un quadra aux deux décennies de médecine. Dire que c’est ici, avenue des Vosges, que je meurs maintenant d’envie de taper le premier valide que je croiserai pour m’être esquinté la guibole sur un massif… vosgien. Que les liseurs de thème astral se manifestent ou se taisent à jamais.
Putain!  Ça rime avec chagrin en plus. Chagrin comme l'état dépité de ma mécanique inférieure. Lanvin me fait moins marrer tout d’un coup.

Comme je me suis engouffrée il y a quelques jours dans ce sarcophage hightech qui vous scanne la carcasse aux petits oignons et se moque de votre claustro, j’étais venue ici le coeur dopé à l’espoir. Un « rien de grave, pas besoin d’opérer » prononcé par un spécialiste de haut vol aurait suffi à mon bonheur de rien du tout.Vraiment. A la place, j’ai pris la seconde baffe: « On peut aussi laisser comme ça, certains le font mais c’est très  arthrogène comme état. Et quand l’os est attaqué, c’est autrement plus grave ». Sans issue. Même pas un joker à appeler pour calmer mon coeur soudain de (Jean)Pierre. Un ami qui vous voudrait du bien…
Parlons-en de celui-là. 

À mes apprentis « médecins-merlin » d'en prendre pour le grade qu'ils n'ont pas. Y allant tous de leurs balivernes optimistes depuis des semaines : "T'as vu comment tu marches! Jamais t'as un ligament croisé qu'a lâché toi!" 
Nan. Jamais. 
Je fais juste un S avec ma jambe.
Et dans 15 jours, Edouard m'ouvre le genou.
SgS.