vendredi 19 juin 2015

Régime sans liquide et à l'arrache



Toujours un plaisir que cette jambière
rafraîchissante après quelques efforts timides.
Profitez-en, emmagasinez du plaisir,
il vous servira pour la suite. Les bonnes choses, vous le savez,
ont une fin. Vous ne regarderez pas longtemps le JT ainsi prélassée.

J'ai testé pour vous la torture physique et psychologie. Pas Guantanamo non plus mais tout de même...

Ou comment faire corps avec une jambière en velcro et barres d'acier, fourrée de poches de glace la plupart du temps? Un peu comme si en pleine danse, une partie de votre anatomie était subitement cryogénisée et qu'il vous fallait finir votre fox trot.
Et mes nuits ne sont pas moins contrariées que mes jours. L'entourage trinque de concert. Un conseil: prévenez tout de suite le mari-compagnon qui partage votre lit que je vous conseille king sise, que les moutons à compter vont vite envahir votre piole: eh oui! patience et abstinence seront de mise ces temps-ci. Sauf contorsionniste professionnel. Quant au minot-toutou-matou qui anschlusse régulièrement votre couche sur les coups de 3h le mat', cette affaire devrait être réglée sous peu. Car ainsi corsetée dans ce costume d'estropiée convalescente, vous devriez vite devenir un remède contre les câlins tièdes sous couette. Le velcro, ça pique.


Dans tous les cas il va falloir vous faire à cette moitié de scaphandre greffée à votre peau. Une dizaine de jours. Ne serait-ce que parce que votre jambe, et votre genou par incidence, doivent encore faire le piquet plusieurs heures d'affilée et que l'accessoire aussi intrusif qu'encombrant vous évitera la luxation des nuits agitées. Sans même songer au coffret cinquante variantes de smoothie charnel, un simple changement de position pourrait vous faire fendre la nuit d'un cri de chouette effraie.
Tirer profit de ces petits désagréments et faites vous du bien en savourant déjà les insolentes mille grasses mat' à venir si toutefois vous avez eu l'ingénieuse idée de prendre vos rencards kiné aprés la pause méridienne et d'inscrire le petit dernier à la cantine.



J+10: après les bienfaits du froid sur toute votre jambe, les gentillesses des kinés attentionnés et les petits écrasements de ballon avec votre genou désormais verrouillé/déverrouillé, il est grand temps d'aller vous faire voir chez votre médecin traitant. Si les infirmières à domicile ont jusqu'ici surtout veillé à vous liquéfier le sang et à s'assurer que vos pansements ne deviennent pas des nids microbiens sur le point de vous refourguer un staphylocoque doré, il revient à votre doc d'ôter ces petites bandelettes blanches nommées strips américains qui vous relient les deux versants d'épiderme sectionné par la lame aiguisée du chirurgien. L'occasion, enfin, de voir comment a bossé l'artiste Edouard.


Je vous le dis tout net, l'instant fut gore. J'ai pas eu de bol. Mon doc a 13 ans! Non bon allez, vingt de plus mais alors tout juste. Donc si je calcule les neuf ans, l'internat et les fiestas, il doit avoir signé, hier, la reprise du bail du retraité sage et végétalien qui avait fini par devenir presque mon ami. Autant dire que le très jeune toubib, sympathique au demeurant et branché en permanence sur du 220V n'en a pas forcément vu passer des masses de genoux balafrés tout frais.
Vous avez déjà fait le cobaye? Rien qu'une fois...


Sachez profiter de ces instants de douceur. Quelques patches à impulsions,
un petit massage de mon quaterback...
Le J+15 reste gentil, c'est ensuite que ça se gâte méchamment. 


J'ai senti que mon sang se tirait, j'ai eu très chaud et ma tête a subitement fait le poids d'une enclume. "Oulah! vous me feriez pas un petit malaise vagal vous?" qu'il a lancé, le bleu. J'ai hésité.
Le choix entre beugler comme une damnée ou le taper. Fort, jusqu'à ne plus l'entendre respirer, un truc dans le genre. Je suis restée digne. Ma fille m'accompagnait ce jour-là pour un rappel de vaccin. Je me suis rappelée la grande scène de scout servie plus tôt sur le "rien du tout" qui l'attendait; je me suis remémorée mes encouragements à montrer sa grande bravoure, j'ai entendu l'écho de mes bons conseils lui dire que se cabrer ou vociférer comme une hystérique se retournerait forcément contre elle puisque ses muscles contractés empêcheraient la progression de l'aiguille. Je vois encore sa détermination: "Promis je serai forte!" J'aurais alors eu l'air fin à insulter le médecin avant de lui allonger une droite et de sauter dessus à pieds joints après lui avoir broyé les deux genoux. Ou comment se ruiner une carrière de maman ange-gardien!

Pourtant, vous allez forcément abonder dans mon sens: ce furieux aimable méritait grandement le quadruple de ce déchaînement de violence contenue. Pas de liquide physiologique, rien, aucun petit-quelque-chose de magique pour assouplir les chairs, humidifier les attaches, dissoudre la colle, détacher doucement les liens pendant que nous aurions deviser sur le réveil de quinze secondes de Philae, le 49.3 préféré de Valls, le grand-père compagnon de la Libération de Julie... Rien.
Il a tiré ce sauvage. Après dix jours de collage, dix jours de suintements séchés, dix jours de croûte en constitution. A vous faire jouir un marquis de Sade.
Ce qui devait arriver arriva. La plaie s'est rouverte en partie, et à l'instant où j'ai posé mes mirettes exorbitées sur le résultat de ce travail de sanglier, le liquide tiède qui gonfle mes veines, alimente mon corps en oxygène, se charge de garder mon cerveau en éveil, s'est échappé. Bien rouge, presque violet, visqueux à souhait, comme s'il attendait ce puits de lumière depuis toujours. Mon déjeuner est remonté, s'est arrêté à la trachée. J'avais envie de cogner cet excité de boucher. "Vous voulez qu'on fasse une pause? Je vais prendre votre tension, vous m'avez pas l'air bien".

Un petit 9,5.
"On va remettre quelques strips je pense. C'est un peu ouvert. Allez, dans deux-trois jours ce sera fermé. Elle est belle cette cicatrice".
Un peu ouvert! A l'échelle de mon exaspération, de ma déception, de ma fureur étouffée dans l'oeuf, l'entaille me laissait entrevoir mon tendon d'Achille.   
Deux-trois jours! C'est exactement le temps qu'il a fallu à la formation d'une concentration de petites bulles de lymphe pour venir troubler un peu plus mes jours et mes nuits. Celles qui vous démangent et vous grattent jusqu'au sang.
Allergie aux composants. Me manquait plus que ça! Cette fois, j'ai moi-même pris soin de tout décoller après avoir vidé le ballon d'eau chaude dans la douche et une trentaine de topettes de liquide physio sur l'ouverture béante.
J'ai fini par avoir sa peau à ma balafre contrariée. Fini par lui fermer le clapet.  Avant le staphilo. Mains liées dans le dos!
Non, pas Guantanamo mais quand-même...
Visez moi ce travail!
Elle se déguste sans faim! Allez j'avoue avoir un peu
forcé sur les filtres et aggravé l'aspect
peu ragoûtant mais la réalité, les premiers jours suivant
l'arrachage des strips, est très proche du cliché.
Surtout qu'à cet instant précis, l'allergie n'est pas loin
et que mes ongles s'apprêtent à gratter cette jolie plaie à vif. Un régal!

SgS.

lundi 1 juin 2015

Entre les mimines de mon quaterback...


Optez pour une date d'intervention durant la belle saison.
Un bel ensoleillement printanier par exemple. Ne serait-ce que pour
bénéficier des bienfaits de quelques
rayons sur l'épiderme. Même si une seule guibole en profite.
Ensuite... attendez d'être servi!

"Allez! Le plus dur est fait. Y a plus qu'à..." 
C'est quand en guise de "bon vent" à J+1 le chirurgien vous envoie tous ses encouragements pour la séance de rééducation qui débute le lendemain de l'intervention que vous vous dites que le doc Édouard est décidément un sacré déconneur.  Mais trois secondes suffisent à vous rendre compte que vous vous marrez seule. On plaisante pas avec une ligamentoplastie; selon l'avis des experts. Pas de temps à perdre, des pyramides de marches sont encore à dévaler pour éviter les fameuses adhérences des chaires et accessoirement... l'engourdissement cérébrale de la malade. 
Tout cela se fera genou de traviole, cannes en main, guibole engoncée dans une attelle XS, rictus de douleurs et les cargaisons d'insultes étouffées qui vont avec... mais ça se fera.
Je hais les bien-portants.

Du coup mon front perle de nouveau. C'est devenu une habitude depuis que sur mon anatomie jusqu'ici sans handicap majeur, un chirurgien a pris sur moi de détourner un bout de tendon de son usage initial pour en faire un ligament croisé fixé dans le fémur pré-percé. Au réparateur de machine humaine déglinguée de remettre désormais tout ça sur pied.

Suis sceptique. Allez comprendre... dans mon état. 


Vous quitterez Edouard et votre chambre d'hôpital non
sans le feuillet des mille consignes du kiné de service.
Après les rayons du soleil sur transat, les exercices sur tapis de sol.
Rasoirs mais efficaces.

Au lendemain de l'affront chirurgical, la prise en main dans l'antre des mécaniques d'occasion est sans sommation. Tout juste remise d'un épisode épique de la veille qui avait consisté à tenter de me doucher. Un geste si anodin du quotidien devenu une épreuve de kho-lanta. Deux tabourets et un être humain dans une même cabine ce sont, il faut le savoir, deux éléments de trop en un même lieu confiné. J'ai pas trouvé mieux: un pour s'asseoir, l'autre pour y poser la jambe droite tendue et légèrement relevée de manière à ne pas mouiller les pansements. Un exercice de contorsion frisant le burlesque quand il ne manque pas de vous ruiner une mâchoire sur la faïence et vous provoquer deux lumbagos en un. J'aurai dû filmer cet instant "auto-infamant". Mais est-il nécessaire de vous préciser que le chirurgien préfère ne pas vous voir revenir pour un tendon fraîchement fixé, à nouveau arraché? Gaffe, gaffe, gaffe sera le mot d'ordre des longues prochaines semaines. 
 
Je vous passe la séquence d'essuyage à cloche-pied après avoir zigzagué entre deux sièges détrempés et négocié les différences de niveau entre sol et receveur. Tous ces petits détails qui faisaient votre fierté de décoratrice d'intérieur improvisée lors de la conception de la pièce d'eau... Quiconque a vécu ces heures aussi absurdes qu'éprouvantes peut ensuite tout accepter de ses futurs manquements à sa dignité la plus intime. Quiconque a vécu situation similaire songera aussi, à l'avenir, à se construire une cabine deux fois plus spacieuse. Pensez-vous infirme, mutilé, inapte, cul-de-jatte lors de vos prochaines séances shopping chez Leroy Merlin. Vous vous rendrez assurément service.
C'est décidé: je ne me lave plus jusqu'à la guérison. À moins d'être invitée par Mémé à la maison de retraite. Ils ont les mêmes sièges fixés au mur que dans ma regrettée douche d'hôpital.

J'en n'ai donc pas fini avec la maltraitance de mon moi. Car s'en remettre aux machinistes de votre charpente équivaut d'emblée à admettre votre propre vulnérabilité. Ce qui, à la moitié d'une existence jusque-là totalement valide, aurait vite fait de vous torpiller un moral d'acier. Et je reste polie.

J+2: on se défait de tous les nouveaux accessoires. Béquilles, attelle.... "Mettez tout de côté et allongez-vous sur le lit".  Les mains du kiné que j'avais pourtant déjà pratiquées pour la préparation à l'opération ont désormais l'air d'avoir quadruplé de volume.
 Plus elles s'approchent plus elles sont immenses. Des palettes de gardien de but. Et les voir ainsi s'agiter autour de mon genou rafistolé de l'avant-veille me rend nerveuse.
Première étape que le réparateur au polo siglé de son petit nom vous invite à franchir promptement : retrouver la commande "verrouillage du genou". Ce qui veut dire contracter son quadriceps (muscles de la cuisse) et agir sur la rotule jusqu'à "friper la peau" (sic). Fastoche.
Que non! La première sensation est fort désagréable. L'impression qu'un électricien-stagiaire a sectionné les mauvais fils et que la communication est rompue. Que l'ordre parti du cerveau ne parvient plus à votre jambe.
 
Les patches à impulsions électriques sont reliées à
un boitier à commandes. On vous laisse
même jouer avec le plus et le moins. Envoyez la purée, on s'y fait!

Pas de panique! Aussi déconcertante fût-elle, la sensation ne dure que quelques jours. Comptez en trois-quatre. Vous parviendrez alors à nouveau, en écrasant un coussin avec votre genou, à réduire l'espace entre le dessous de la jambe et la table. La paluche du quaterback s'y glissera même de temps à autre pour vérifier la réduction de l'écart. Et alors vous vous sentirez enfin digne de ces quelques centimètres grappillés. Un rien ravit quand on est diminué.

Ensuite il s'agit surtout de gérer l'oedème sous cutanée qui chaque jour en fin de journée vous permet de réchauffer un potage sur votre quille à quai.  Donc après dix bonnes minutes d'une séance de patches collés sur les muscles et reliés à des appareils à impulsions électriques, vous saurez apprécier la poche d'air froid pulsé avec laquelle les mimines de bûcheron envelopperont -délicatement peut-être- votre jambe.
Ce plaisir minuscule de l'existence se renouvellera chaque jour en fin de séance. Du moins je me le souhaite.

Car j'ai aimé ça tout de suite.  Comme la morphine, comme le zèle de mes blouses blanches, comme les petitdej VIP.

On verra plus tard pour les sujets qui fâchent...
          SgS