lundi 23 novembre 2015

Au diable les bovins!

     
Au bout de quatre mois de soins et exercices,
il vous sera possible, déjà, ou enfin, de reprendre quelques
activités délaissées.
Un bol d'air un vrai.
Surtout pour Médor et son pote Jolly Jumper!


  J'ai proféré des rafales d'insultes à l'endroit de mes voisins ces sportifs de salle de kiné. Toutes restées secrètes dans ma tête, cela va de soi, mais tout de même. Des scénarii relevant parfois, je l'avoue, de la psychiatrie. Mais après ces kilomètres de lignes à vider mes tripes sur vos écrans, après toutes ces semaines à déverser mon fiel sur les bien-portants et vous imposer irrégulièrement des nouvelles de ma rotule, je ne vais pas, subitement, me métamorphoser en mère-Retenue. Même si, il faut bien le dire, entre temps, le supplice est devenu moins, beaucoup moins, encombrant. Un petit calcul rapide et vous aurez compris que l'aventure a récemment touché à sa fin. Mais foin de précipitation!
Ce serait malhonnête, voire fort mal élevé de ma part, après ces longs mois de blog-réalité, de vous révéler tout de go comment s'achève cet interminable chemin de traverse... Et vous planter-là sur votre fin. Dans mille lecteurs supplémentaires à peine, vous serez vingt mille à prendre des nouvelles depuis la première lettrine de cette traversée du désert. Je m'en voudrais de ne pas vous en donner encore pour votre surprenante fidélité.  


 Je n'en ai en effet pas tout dit de ces frustrations générées par l'incapacité, n'en ai pas fini de disséquer la psychologie humaine dans tout ce qu'elle a de plus suspect. La mienne? Que non. De celle-là vous n'aurez, jusqu'à la fin, que les tourments. Celle de l'Autre, cet enfer. L'Autre qui vous nargue, vous défie, vous sape la volonté quand souplesse et autonomie vont font un peu la nique. Encore un peu, et à cause de lui, je finissais paranoïaque !


 Six mois à vous livrer ce qui me traîne sur la patate, ce qui me fiche au ralenti, me colle au tapis, je ne vais pas retenir les chevaux en si bon chemin...
 

Car qui, franchement qui, apprécierait d'observer des bêtes de somme frôlant les records sur des monte-charge à muscler des bovins reproducteurs tandis qu'on vous interdit trois foulées de biquette hystérique sur un tapis de course électrique? Des humains forcément dotés de bon sens.

Jamais je n'ai laissé, ici et ailleurs, supposer que j'étais... parfaite!




Le vélo elliptique fait partie des  premiers appareils
sur lesquels vous remonterez au bout de trois à quatre
mois de musculation sur la presse et la machine à ishio-jambiers

Quatre mois un peu plus post-opératoire. Presque cinq. Un seuil. On m'avait promis de me laisser m'agiter. Un peu. Une voisine, en catimini, m'a confié, à ce même stade, être repartie user le tablier. "C'est bon là. Ras-le-bol de me traîner. J'ai même plus mal". Elle s'en est revenue dix jours plus tard. À peine. Désolée mais peu décidée à avouer à notre parterre de kinés dévoués, s'être laissée un peu trop allée à l'enthousiasme. Humain. J'ai promis de ne pas la balancer.
Moi, je vous l'avoue, cette situation m'offrant le prétexte sur un plateau commençait à bien me plaire! Jamais je n'avais été autant disciplinée à ne surtout pas trop gigoter. "Tu viens recourir un peu?" "Oh la non surtout pas! Pas encore a dit le kiné. Trop tôt, beaucoup trop tôt. Encore deux petits mois".

J'aime bien, des fois, ou plutôt depuis que mes fesses les premières se sont ensevelies dans la poudreuse, jouir de m'affaler une peu sur moi-même. Opter pour l'apéro en terrasse plutôt que le footing médical sous un cagnard juilletiste ou une pluie diluvienne aoûtienne...  Si je devais trouver une qualité première, comme ça, à l'arrache, à cette galère passagère, je concèderais qu'elle m'a offert, cinq mois durant, l'opportunité de me faire violence, mais sans excès! J'ai pris soin de profiter, comme on dit. Soin de ne point trop tourbillonner des fois que la cheville en glucose se serait piquée de libérer son prisonnier avant que la moelle osseuse ne se reforme et séquestre à jamais le tendon devenu ligament (cf: Sucré... salé) 

Où en étais-je? Les bovins membrés et la chevrette lénifiée.


  Tandis donc que les bestiaux se musclaient, suaient, expectoraient leurs poumons,  inspiraient et expiraient ostensiblement, je grimpais sagement. Une sorte de montagne de Sisiphe. Vous vous rappelez, le mythe. Le sommet vers lequel tend le héros grec mais qu'il n'atteindra jamais. Une punition des Dieux. Je n'avais pas de rocher à pousser, juste ma guibole à dérouiller mais l'effort devait être congénère. Une nouveauté dans mon parcours d'estropiée: un stepper pour moi toute seule mais pas que. Mon quaterback était désormais d'humeur grand seigneur... dix minutes de course à pied m'étaient consenties. Le premier m'obligeait à aller chercher l'effort, toujours plus loin, plus haut puis plus bas, à appuyer sur les chairs désormais cicatrisées, à solliciter longtemps les muscles déprimés; la seconde me rabibochait enfin avec mon moi d'avant le gadin.



Chemins boisés me revoilà! À cinq mois, la cicatrisation est faite.
Plus aucune crainte à avoir quant à la tenue
du ligament raccroché.
Seul conseil de l'expert: éviter encore les rotations.
Jusqu'à six mois au moins.
  Je l'avoue, la première foulée m'a rendue toute chose. Quinze mètres de piste à peine mais c'était déjà ça. Surtout, l'occasion tant espérée autant que redoutée, de vérifier que tout fonctionnait. Un drôle d'émoi. J'étais zélée. Je sautillais. Repliais mes talons jusqu'aux fesses bien plus que nécessaire comme si je voulais que cette course de moins que rien, cet échantillon de mouvement, efface en dix minutes, la cargaison de craintes et de doutes tricotée toutes ces semaines. Il paraît que je boitillais subtilement. Un truc psychologique a dit l'expert qui n'avait rien manqué de mon nouveau départ, de ma renaissance sur un tapis de caoutchouc rouge.  Le corps et l'esprit qui se reconnectent, la machine qui se réveille. Rien remarqué. Je n'ai songé qu'à tous les possibles à venir à nouveau.
Les retrouvailles avec mes environnements naturels improvisés, la prochaine communion sur sentier boisé.



J'ai aussi gambergé que le troupeau de bestiaux pouvait bien allé se faire voir et avec lui ses respirations bruyantes, ses épidermes luisants, ses tissus d'aisselles humides, ses records imaginaires à pulvériser, ses regards en douce comparant la performance, ses contentements perso de tant d'époustouflants progrès comparé à la voisine diminuée.     

  Je me suis dit que je n'étais pas cassée. Que l'effort était certes mesquin mais que je n'étais pas encore tout à fait bonne à remiser. J'aurais pu courir encore et encore ainsi portée par je-ne-sais-quoi de vaillant, par une énergie débordante. Il faisait gris dans le ciel quand Sisiphe a cessé son ascension désespérée, il faisait soleil quand  mon quaterback a invité l'Héraia qui avait infiltré ma carcasse à ménager sa monture. "On arrête. Faut y aller doucement. C'est bon pour aujourd'hui".


Et pour demain? Rien n'était moins sûr. Une drôle de bécane n'attendait que moi: la machine à grimaces. Tous les athlètes de pacotille m'y avaient fait découvrir leurs plus belles singeries, leurs rictus les plus décrépis, leur volonté d'acier à être meilleur que la fois précédente tandis que je caressais sans jamais me forcer une presse fixée sur vingt kilos maxi.

  Quand on déboule par obligation dans une salle de kinésithérapie et que Schwarzy en cramoisi hennit en cherchant son oxygène sur sa bécane à forcer les flexions, vous vous dites que dans votre état, tout cela ne vous concernera jamais.

  Puis les jours passent, les semaines trépassent, les mois s'annulent et le jour vient où un kiné empressé, sourire en coin et l'oeil torve règle l'automate.

Mon tour était revenu...

SgS.

jeudi 27 août 2015

Comme un accroc dans ma cape


C'est parti pour le récit du vol plané
qui me vaut de refréner
mes ardeurs depuis six mois.
On a aussi la vidéo... c'est plus bas!
   J’ai perdu ma virginité sur une pente immaculée, au beau milieu d’une immensité gelée du massif Vosgien. Un roulé-boulé de plus et je finissais ma descente emmitouflée dans le manteau de la reine des neiges. L’ensemble de cette oeuvre tragique sous le regard circonspect de ma fille.

Attendre une quarantaine d’hivers pour finir avec deux cannes anglaises et la promesse de passer au bistouri, j’appelle ça se faire déflorer à maturité. Attendre une quarantaine de printemps pour, à l’avenir, ne plus esquisser un sobre tout schuss dans la poudreuse, une modique pirouette dans le sable, un galop modéré en forêt, un  modeste footing sur le bitume sans l’invitation systématique de vos enfants à la prudence, j’appelle ça se faire dépuceler la sacro-sainte image de mère de compétition, de super-maman à la maîtrise parfaite de son environnement.
Fini la spontanéité du geste présumé contrôlé, la fierté de l’exploit sportif du dimanche, des vacances et jours fériés qui récoltaient les hourras de votre progéniture émerveillée et admirative!

Les sans-minots se demandent forcément de quoi je cause; les autres ne le savent que trop. Hélas!
Tomber sous les mirettes de ses chérubins, choir à leur pied comme une poupée chiffonnée, se rétamer lamentablement dans leur viseur n’est pas juste écorner le cliché agréablement lisse de la perfection parentale, c’est mourir un peu.
Et se faire ouvrir un genou, c’est gémir en bleu!

  Mais je survis. Depuis six mois, j’ai eu le temps de me repasser la bobine et progresser vers un début de quelque chose qui ressemblerait à une ébauche de c’est-bien-fait-pour—moi.

Combien parmi vous (vous êtes 10 500 sadiques à ce jour!) ont espéré visionner la
vidéo du crash?
Je n'ose attendre la réponse! Un joli paysage ne vaut-il pas
mille figures de style.

Noire pour la couleur affichée. 45% de déclivité et des bosselettes à la pelle creusées pour les champions du slalome chronométré. Une descente suffisamment matinale pour s’assurer un sol glacé à souhait et une voie aussi étroite que ces petits chemins ruraux de village qui vous conduisent au cimetière communal. Je ne crois pas si bien l’écrire; cette bretelle-là menait tout droit à la concession familiale!
Mais ça, je ne l’ai remarqué que trop tard. Après avoir invité la chair de ma chair à prendre à moins cinq kilomètre/heure le couloir plat en chasse-neige qui longeait la piste et à m’attendre dans le virage, dix mètres plus bas, je me suis lancée. Tête et corps perdus.

La prise de vitesse a été fulgurante. Tout juste le temps d’une petite remarque: le loueur de ski m’avait farté les spatules comme un rémouleur de… haut-vol. Je glissais sur deux couteaux affûtés comme les griffes du Yéti. Sitôt la première bosse contournée à gauche, je négociais la seconde à droite, puis la troisième à gauche, puis la quatrième à droite. À vous coller, certes, le mal de mer mais à vous laisser bouche bée de vénération un télésiège de petits héritiers.
Un emballement frénétique, chaotique. Et ma fille si fière de sa mômon ! Puis mon radar a calculé l’horizon. J’ai bien vu les petits décrochages sur son spectre qui balayait mon champ de vision. Ma zone cérébrale de l’écriture a formé une seule et même combinaison de lettres annonçant le pire: ravin. Jusqu’à ce que mes deux pupilles dilatées complètent l’information: ravin sans filet!
Je me voyais déjà en gratin de Schumacher. J’ai actionné tous les boutons clignotant du tableau de bord de ma fusée à réaction, levé et baissé les manettes réfléchissantes, réduit les gaz. Tout ça dans ma tête prise de bouffés délirantes… Dans la vraie vie qui filait à trop vive allure pour m’éviter le grand saut et le crash, je me suis d’urgence et gauchement assise dans mes pompes. Mauvaise idée: mon rémouleur de compétition avait serré mes attaches comme un forain assemble son grand huit. Un double tour de clé à molette sur chaque écrou. Rien n’a lâché.

Enfin presque rien.

Avec une articulation faisant levier vers l’arrière et un ski enfoui sous la neige sur l’avant, ne parvenant pas à  se déboîter de la chaussure, comment pouvais-je m’en sortir indemne? Les éléments ont continué à se déchaîner. Après ce refuge express sur mes fessiers dont je pensais qu’il stopperait net ce pitoyable remue-ménage de corps désarticulé , un roulé-boulé supplémentaire sur le côté s’en est suivi avec deux skis tortionnaires qui poursuivaient leur entreprise de destruction d’une partie de mon anatomie. Sans ce bonus improvisé, le spectacle aurait, c’est vrai, été de trop courte durée. N’oubliez pas que la fifille à sa maman était aux premières loges!

J’ai ainsi maladroitement progressé vers son confortable point de vue. Après l’envol de mon bonnet de laine, j’ai pu tour à tour apercevoir son regard interrogatif, inquiet, partagé entre amusement et gravité. « Tout va bien maman? C’est bizarre ce que tu nous as fait ». Puisque je n’étais pas censée avoir mal, je n’avais pas mal. Puisque je n’étais pas censée être sonnée, je ne l’étais pas non plus. Une vraie "Mum pride".
J’ai rassemblé tous mon bazar éparpillé: bonnet, gants, bâtons, esprits… après avoir décroché mes skis en appuyant comme une damnée sur les appuis. Une de mes articulations déglinguée et douloureuse remise un peu près à l’endroit, j’ai fait mine d’être emplie du bonheur du casse-cou satisfait de sa prestation. « Ça va ça va, ma chérie! Fallait que je m’arrête, t’as vu le paysage derrière toi! » J’ai rechaussé. Contre les mille arguments de ma raison qui m’invitait plutôt à hurler ma douleur  au ramassis de sommets face à moi jusqu’à l'arrivée d’un super hélicoptère et ses super hommes du ciel qui descendraient m’injecter un super cocktail abrutissant avant de m’emmener sur leurs doux nuages, enveloppée dans une couverture de survie!
Mais je suis une "Mum pride".

Rotule, muscles, tendons, tout semblait flotter à l’intérieur de ma jambe et émettre le bruit d’un décapsuleur. Mais il me fallait redescendre ce mur au pied duquel quelques spectateurs s’inquiétaient déjà du sort de la Reine des neiges. Je ne me savais pas si imbattable en serrage des gencives!
Une heure après le gadin au ralenti, mon genou clignotait, un coeur tambourinant y avait déjà pris ses quartiers. La glace souillée dont je l’avais couvert en attendant le retour du reste de la troupe n’avait fait qu’anesthésier les couches supérieures de l’épiderme. Dedans, c’était Minecraft. Trois heures plus tard, attablée dans ce restaurant où l’on fêtait la fin d’un séjour vivifiant et si réparateur, je réclamais mon troisième Sancerre tant le taux d’alcool parcourant mes veines, envahissant mon corps et embuant mon esprit, me procurait un bien dément. Je n’avais jamais picolé autant à l’apéro.

Une nuit de dégrisement avec sac de petits-pois congelés sur le genou plus tard, c’est aux urgences que j’ai payé l’addition: entorse sur les deux ligaments latéraux et suspicion d’arrachement du ligament croisé antérieur. 
Le prix d’une promesse: emmener ma fille sur une piste noire.
On est une maman avec une cape ou on ne l’est pas.

SgS.

À trois mois de l'opération, je vous promets
de vraies belles sensations. Et puis surtout,
c'est la période durant laquelle j'ai pu enfin
rejoindre le club des vrais valides sur
des appareils qui font réellement transpirer.
Comme le vélo elliptique mais aussi le stepper...
ou l'impression de gravir la montage de Sisyphe!
 





   

mercredi 29 juillet 2015

Voix off et affolements

La chute, la chute, la chute! (9 367 sadiques)
Vrai que l'engagement a été pris ici que le piteux exploit de la dame serait révélé et décrypté avant le cap des dix mille. Vous l'avez bien mérité, espèces de fidèles! La prose due sera donc pondue. Mais à l'instant où le clavier réclame à nouveau sa ration de mots, sa pitance bimensuelle, excusez du peu... le compte n'y est pas tout à fait.

Et surtout, j'en ai appris une bonne il y a quelques jours. Que je ne peux pas ne pas vous confier tant l'émoi qu'elle m'a flanqué m'a laissée sur les... rotules. Aussi sec! Ce qui n'est pas forcément confortable pour une amochée du genou. Depuis, mon cerveau est en ébullition. Et une petite voix de schizo n'arrête pas de me répéter qu'on s'est peut-être bien payée ma trogne, qu'on s'est fait mon genou,  qu'on s'est rincée sur la bête et sur le dos de la sécu. Le genre de petite voix féroce, sans gêne. Qui se moque, qui se gausse, se repaît de mon dépit, se nourrit de ma contrariété. Une vraie salope.

L'information a été portée à ma connaissance de manière fortuite, puis ruminée, renversée dans tous les sens, passée au shaker: "Vous avez entendu la dernière? Du côté de Dijon... Un chirurgien répare les ligaments croisés sans opérer. C'est fou ça", m'a balancé mon kiné4 tandis que je m'appliquais à pousser comme une damnée sur mes deux ressorts pour tenter, un oeil sur ma dignité, d'écraser une presse à 45 kilos.
Dix séries de quinze à deux jambes puis cinq séries de dix sur le seul membre convalescent. Quand c'est pas le quart d'heure de vélo elliptique,  les pompes sur la machine à repulper les ischio-jambiers, la grimpe imaginaire sur le stepper... Trois mois que ça dure. Trois mois d'une mue intensive en reine du fitness.



La reine du fitness, c'est moi!
Veronique et Davina réincarnées dans
un seul et même body. La machine
à repeupler les ischio-jambiers sera votre
nouveau joujou très rapidement.

Alors forcément, je l'ai pas sentie venir. Trop occupée que j'étais à m'agiter comme une Véronique et Davina sous ecsta. Ça peut épuiser à force. Quand la nouvelle est parvenue jusqu'aux frontières de mon cerveau, essentiellement concentré sur l'effort physique et les décomptes à répétition, mes neurones se sont affolés, j'ai tout lâché. Et relâché. Mes guiboles en même temps que mes joues gonflées à l'hélium. Les poids se sont percutés un à un comme des dominos. Retentissant en un effrayant vacarme à la Call of Duty. J'ai conservé la couleur de l'épiderme. Écarlate. Mais écarlate version furax. "Pardon? j'ai balbutié. Sans opération? Du côté de Dijon ?"

Dirais-je que la moutarde m'est soudainement montée au nez?

Paraît que par temps de forte émotion à vous décoller les deux rétines, toute votre vie défile comme sur une bobine de Super huit. Que l'ancêtre du camescope crépite un peu, saute, floute le sépia mais qu'on y voit l'essentiel. Moi, j'ai vu une jambe en berne, une charlotte en papier, une combinaison mal nouée dans le dos par une pression sur trois, une cheville en glucose, une perceuse Black&Decker, une machine à flexions, une balafre rouverte, une meute de blouses blanches autour de mon lit de misère et un crucifix au mur de ma chambre d'hôpital d'abbesses. Je revois aussi en boucle la vidéo de deux docs en bloc en train de s'exciter à grands coups de massette sur une barre de métal coincée dans le genou d'un patient shooté derrière un champ. La petite dernière bien juteuse que m'a collée une bonne-copine-comme-on-n'en-fait-plus sur le mur de mon FB peu après l'opération. Réplique d'un scénario des garçons bouchers que j'aurais vécu endormie? Je sais, je dramatise, tout de suite, mais quand-même... Il est tellement réaliste ce film. Difficile de ne pas me demander si ça s'est mieux passer en ma compagnie. Je vous l'ai dit déjà : j'ai pas fait médecine, moi ! Les vingt secondes d'épouvante ont largement fait le tour de la toile et produit leur lot de nausées. Et v'là qu'on me titille à nouveau la patience maltraitée !

J'hésite.
Je ne vais quand-même pas céder à une pulsion qui consisterait, en poussant des cris de femelle grizzli, à arracher l'empilage des trente poids figés dans l'appareil et les balancer à mon entourage en plein effort. Je pourrais passer, au mieux, pour une hystérique. Pas l'envie qui m'en manque pourtant, j'en ai encore sous le pied depuis tous ces entraînements. Mais j'le ferai pas. Mais j'pourrais. Mais j'le ferai pas. Mais... Et la voix de la dingue qui s'y remet, me chuchote "qu'ils savent tous et qu'ils se marrent bien, entre eux, quand les ligaments croisés locaux asticotés au scalpel quittent la salle des gonflettes". 
Je me demande quand-même si elle ne serait pas un peu parano ma voix off. Un beau spécimen que voilà, d'ectoplasme vrillé complètement psy.

"Et c'est quoi sa technique exactement, au Dijonnais?" ai-je demandé, tout mon bouillonnement retenu dans une bulle de savon prête à éclater. Nan parce que c'est pas comme si je n'étais pas passée sur le billard d'Edouard avec six mois de kiné à la clé et pas un seul petit tour de piste en basket ou en étrier. Les dadas ont pris un demi quintal chacun depuis cette affaire à la mauvaise tournure. C'est plus grave pour Médor. Comme moi, il a opté pour le chocolat en conditionnement famille nombreuse. Bref, une cargaison de dégâts collatéraux se chiffrant en embonpoint, et des victimes à poils à la pelle!
Je crois que je suis bonne pour la mégadéprime. En box ou en niche. La compagnie vous assaisonne toujours très efficacement une neurasthénie balbutiante.


Plus sympa qu'un énième cliché du genou défiguré:
deux beaux dadas
à mobilité toute aussi réduite
que leur propriétaire!
Mais il y a pire que les voir grossir...
il y a les regarder partir en promenade sous d'autres
cavaliers disposés à rendre service!


"En fait il n'opère pas, il immobilise la jambe. J'ai pas trop les détails, a précisé le kiné4 mais le patient ne doit pas bouger le membre pendant des mois. Ce qui permettrait peut-être aux bouts de ligament de se reconnecter ensemble, un truc dans le genre". Je phosphore à cent à l'heure. Me rappelle mes quinze jours d'attèle, les douches en Y accompagnée de mes deux tabourets de boulet. Et le cauchemar des nuits à compter les mouches au plafond, à m'endormir le corps droit comme un i. "Pendant des mois"! La précision fait son petit effet. Je ne retiens qu'elle. Je crois avoir été au taquet de l'immobilisation.
"Du coup quand il faut remuscler tout ça, on part de zéro. C'est forcément très long". Faut que j'en sache plus. Ne serait-ce que pour faire taire l'aliénée qui me triture le cortex avec ses délires de persécutée.


Attente, déprime et chocolat pour Médor...
Elle remet ses basket quand la dame?

La grande toile qui ne fait jamais mystère de ses savoirs autant que ses lacunes, semble avoir zappé la recette du Dijonnais. Rien sur l'angle de vue de la blouse blanche, sur sa technique pacifique. Ça sent les gros bobards de la trempe de ceux qui font mousser une réputation de chirurgien. Je respire mieux. Mais la dégénérée ne veut pas me lâcher: "Cherche encore, tu vas trouver. J'te dis qu'on t'a charcutée pour de rire". On la perd la toquée.
Je peaufine encore. L'écho agité de ma demeurée de service devient assourdissant. J'aiguise le mot-clé. Quelques lignes ici et là évoquent un croisé antérieur plutôt téméraire et pas mal culotté. SantéSport magazine y va de sa thèse sur un ligament rompu capable, au terme d'une période de mobilité réduite à zéro foulée, de retrouver vie grâce à son voisin le croisé postérieur sur lequel sa portion tibiale, pour l'essentiel, se reconnecterait à la longue. En langage savant, ce phénomène naturel est une pédiculisation.
Rien de systématique toutefois. Ce qui me calme un peu les nerfs à vif. Car m'imaginer une seule seconde en replay avoir consenti à me laisser plâtrer la jambe vivante durant six semaines à quatre mois - au mieux - pour entendre un spécialiste ès-IRM m'annoncer, à l'issue, que le bidule filandreux a boudé son homologue d'à côté... Qu'il va finalement falloir répliquer au bistouri.
Voilà comment on se retrouve au fossé pour une année. Comment on finit par bouffer ses bourrins et son clébard en lasagnes. Comment on se récolte des mois d'une immobilisation forcée arrosée aux alcools forts.  
J'ai bien assez picolé durant mes dix jours de banquette et vidéos à la demande. Plus, eut été abuser. Se pourrait-il donc que les doigts d'argent, mon quaterback, kiné2, kiné3 et kiné4 aient sauvé mon foi d'un naufrage éthylique?

Tiens donc, je n'entends plus rien... L'oeuvre de bienfaisance collective en cours aurait-elle cloué le bec de ma folle-dingue?

Faudra quand-même que je cause à Edouard de ce mystérieux confrère dijonnais.

SgS.



vendredi 17 juillet 2015

Massez pas ou je tire!



En cadeau: les mains, les fameuses,
de mon quaterback. Après les exercices, la jambière
à glace est devenue plus rare, moins indispensable,
deux mois après l'opération, mais les massages
restent un must. Surtout lorsqu'ils sont
pratiqués... tout en douceur!  

Des semaines qu'on me vantait à grandes louches les "mieux-faits" du mois dépassé de quelques miettes! Ceux qui savent pour se charger de réparer les cagneux, ceux qui sont "passés par là" (soit une grosse marmite des 8 miiiiiille 700 fidèles -moi-même je n'en reviens pas- qui lisent désormais cette prose bi-mensuelle)  m'avaient prédit le cap des sensations meilleures, des mouvements plus vifs, plus assurés, plus euh... aboutis. Aucun ne m'a menti. J'ai fini par enfin y goûter. Je vadrouille sans grimacer, je déboule les escaliers, je fais la nique aux vieilles allées pavées, je fais la maligne sur mes deux pieds, bref... je suis à nouveau en totale interpénétration avec mon intégralité, je fais corps... avec mon intégrité.

Mon J-42 est encore frais en mémoire et en jambe. C'était devant l'école du petit dernier. Un samedi matin. De retour à la grille après le bisou d'encouragement, je me suis soudain rappelée un réveil sans raideur matinale. Un réveil comme les seize mille soixante autres d'avant la chute et depuis que ma charpente s'est mise à maîtriser la fonction marche. Soit depuis l'âge des bavettes.
Car des autres réveils je ne vous ai pas encore ou peu parlé. Ceux précédés de moult et soudaines sorties de sommeil dues à de fugaces impressions de paralysie partielle auxquelles on ne met fin qu'en s'arrangeant de petits râles de douleurs en pliant et dépliant le genou. Ceux grignotés par l'impatience de guérir, de se défaire de la contrainte. L'occasion de penser, beaucoup. De se repasser le film. De se remémorer en premier la piste d'avant la falaise, de cogiter sur l'absence de filet de sécurité, ou de dédicacer quelques recoins de sa mémoire à cette belle au bois dormant qui avait boudé son réveil post-opératoire. Il faudra d'ailleurs que je songe à vous en dire d'avantage sur cet oiseau de passage. 
Sans que l'on s'en rende vraiment compte, la quinzaine de nuits la jambe immobilisée dans l'attelle vous conditionne un tantinet une dormeuse. Mes stations sur le ventre ne font plus partie de mes heures obscures, celles sur le côté sont exceptionnelles. Je ne dors plus que sur le dos, mirettes rivées au plafond. La péripétie m'a fait grandir, je roupille comme une adulte, comme une retraitée, comme une prise en charge par la sécu. Mais désormais je me réveille mieux. Toutes les carcasses mûres ne sautent pas de leur lit. Moi, si!

Mais avant ce petit bonheur à la puissante portée psychologique, générateur de dopamine équivalente à une bouchée de chocolat 100% cacao qui aurait échappé aux euro-directives et pourrait vous filer l'envie de vous fracasser bénévolement le genou, il me faut vous dire l'effet de stupeur du massage made in kiné's home.  A J-93, je m'en souviens comme si c'était ce matin. 

La chose s'est produite à J-33. J'ai rien vu venir. Prise par surprise. Comme l'interro qui va vous recoller une moyenne dans les chaussettes. Au prétexte qu'il faut à tout prix éviter les adhérences des chairs sous les cicatrices, deux pognes aux apparences sympathiques, a priori, ont saisi mon genou balafré par quatre endroits. Encore à cette seconde, je crois toujours que le remplaçant de mon quaterback parti en vacances, a pensé que j'avais déjà deux mois de convalescence dans les carreaux. En même temps, je ne suis pas la seule silhouette bancale à traîner ses guêtres dans le coin. Allez vous y retrouver dans cette forêt de gueules cassées! En tous cas, notre contact fut intense, bref et mémorable.


Autre petit bonheur vers la sixième semaine après
l'intervention: le droit de se muscler à nouveau
et surtout, de se frotter à des appareils
jusqu'ici réservés aux champions du fitness: la presse en fait partie.

Le garçon s'est concentré sur une marque en particulier. La plus petite. Autant vous dire que je n'en menais pas large en pensant à l'instant où il s'attaquerait à la face nord de ma guibole et sa braguette violacée de dix bon centimètres. Mon cuir chevelu a picoté tout de suite et chacun des poils, chacun des ridicules duvets couvrant mon épiderme s'est dressé comme un régiment. J'ai pas moufeté. Enfin, pas tout de suite. J'ai pensé à une sorte de rite initiatique en me disant qu'à choisir, c'était toujours mieux qu'un genou emballé dans un gant rempli de fourmis rouges. Et puis c'est pas comme si j'étais au milieu d'une salle de fitness gavée de baraqués essoufflés, transpirant et décidés à battre leur dernier record sur la petite reine d'appartement. De quoi aurais-je eu l'air à pousser une Marseillaise, à geindre comme une chatouilleuse?
J'étais cramoisie. Plus je m'interrogeais sur l'opportunité de cette friction de légionnaire, plus le furieux me pénétrait les tissus avec ses deux pouces comme des têtes chercheuses. Deux pouces, c'était deux de trop. Ce fou en liberté avait trop de phalanges, trop de doigts, trop d'énergie dans le poignet. Je ahanais ou je me collais en apnée. Je le confesse ici: quelques larmes de fond commençaient à me mouiller le blanc de l'oeil à trop refouler mes... sentiments!

Jusqu'à ce qu'il jette enfin un regard dans ma direction et que je vois en cette petite attention providentielle la fin de ces souffrances localisées. Forcément, il ne pourrait demeurer insensible à la teinte suspecte de ma bobine, encore moins à ce catalogue de grimaces qui me ravageait la face. "Alors, tout se passe bien?" qu'il m'a balancé. Comment peut-on poser pareille question à un être vivant accroché à sa cuisse comme à une tronc de sauvetage et semblant chercher son oxygène? "Nan, ça va pas du tout, j'ai lâché sans respirer. J'ai un mal de chien, je crois que c'est un peu tôt". J'ai eu envie de le mordre, le sadique qui malaxait encore. "Non non, on est bon. C'est normal que ça tire un peu, ça tire toujours".  Si j'avais eu un famas, j'aurais tiré aussi. Normal.
Mais pas une seule arme dans les parages. Des crèmes, des lotions, des rouleaux de papier absorbant, des frites en polystyrène, des triples élastiques, des poids mais pas de carabine. Je me voyais bien le pendre à un espalier et lui forcer un petit grand écart avec deux gros sacs de plombs à 40kg l'unité, fixés à ses mignons ripatons. Oui ça tire aussi. Normal. Mais bon les accessoires, la violence tout ça...
J'ai ravalé et subrepticement replié ma jambe. Il s'est à nouveau retourné, l'air surpris du môme à qui on retire son hochet: "Peux plus", j'ai dit, déterminée à ne pas lui rendre ce morceau de mon corps maltraité. Juré-craché, il n'approcherait plus ce stigmate, témoin de mes tonnes de courage déjà dépensés jusqu'ici. Toutes les palettes du pourpre avaient mille fois envahi ma trombine durant ces folles trois-quatre minutes. Plus que je ne pouvais encore en supporter.
Pourquoi est-ce que les quaterbacks prennent des vacances?
"Allez, on en a fini! il a lâché. C'est bon pour aujourd'hui". J'ai déguerpi sans quémander mon reste. Fière de n'avoir buté personne, fière d'avoir résisté à la tentation criminelle.

Plus qu'un moyen-drôle souvenir. Entre temps, mon mécanicien désigné a réapparu, regagné la salle des tortures et retrouvé mon bout d'articulation sauvé in-extremis.  Et puis surtout, j'ai atteint brillamment ce J-42 aussi jouissif qu'un tout schuss dans une poudreuse matinale ramollie par un soleil des Alpes. Ou des Vosges.
Au fait, vous ai-je déjà raconté comment je me suis bousillée le ligament croisé? Je manque à tous mes engagements. Allez, puisque vous êtes désormais si nombreux à m'en réclamer le récit...

SgS.         

samedi 4 juillet 2015

La mouche du coach


On y est presque! Mon J-14 a été source de petits bonheurs.
Tant de ballons écrasés
et enfin, deux petites pédales
à pousser jusqu'au sommet.
Un vent de liberté me redonne l'air qui me manquait,
le sentiment de revenir parmi les vivants. En selle!


Je suis l'infirme de passage la plus plainte de mon lopin d’intimes. Chacun m’envoyant sa mélopée avec plus ou moins d’intense sensibilité. Jamais une, jamais un pour manquer la petite occasion de me remercier de l'avoir fait à sa place. Ça non, on ne m'envie pas dans mon Landernau! 

Remarquez... moi non plus. A votre place, je ferais tout pareil; j’adopterais mon regard peiné de bonne-soeur et me servirais un bon « ma pôv! » de derrière les bénitiers, ou la moue du sujet à l’occlusion intestinale imminente pour me livrer un « c’est con c’qui t’arrive », le regard planté vers le genou coupable. Ah j’ai mieux! Je goûte encore la petite touche pertinente de l’indécrottable bedaine-binouze-banquette croisée à la sortie du cabinet médical de l'interne-pas-fini qui m'avait pourri la plaie (cf: Régime sans liquide et à l'arrache). Le genre capable de vous claquer sans prévenir le « toutes façons, moi, j’ai toujours dit, le ski c’est un truc d’allumés qui se la racontent sensations fortes et tout ça… Là j’dis pas ça pour toi mais… »

… Mais un peu quand-même.

En vrai, c’est pire. Un maelström de tout ça. Des fois, je me demande comment je tiens. 
Comment je fais pour supporter l'intrusion quotidienne d'un, deux, trois kinés sur mon transat au soleil, mon fauteuil cathodique, mes journées zéro activités à me laisser pousser une bouée ? Et comment je fais pour demeurer stoïque quand une athlète des sommets passée avant moi par le même bistouri, demande à son coach, faussement innocente, si je porte une prothèse pendant que je me tue à slalomer avec dignité entre les piquets d'une piste de course-relais. Pas forcément gagné, à J-14, de ranger mon genou défectueux à la remise de ma mémoire corporelle.
Une prothèse! Sans déconner. Est-ce que je lui demande, moi, si elle s'achète ses mollets et ses cuissots chez Big Jim Bazar.
On en reparle à J-60 la Walasiewicz.  En Griffith-Joyner je reviendrai détrôner la bête.

Comment je fais en attendant? Je résiste.
En même temps que je découvre le monde au ralenti. A la façon d’une mouche regardant défiler son slow-motion. Il était temps que l’on s'aperçoive enfin que ces petites espèces inutiles qui ont le principal don de nous agacer, envoient un nombre si important d’informations à leur mini cerveau que seules des méninges performantes sont capables de les analyser. Dans ce repaire d’Hercule boiteux, je suis une mouche qui en prend plein les facettes.

Je n’oublierai pas Lysette et son teint des îles, et son cheveu crépu blanc de centenaire fatiguée, et son corps prisonnier d’un fauteuil à lanières, et ses os comme du verre ébréché, et ses muscles rabougris qui ne jouent plus le jeu, et ses pieds minuscules torturés dans des orthopédiques, et son regard désintéressé posé sur ce monde aussi freiné que ses vieux roulis.
Planté devant ses genoux ankylosés par les ans et l’usure, mon kiné2 ne compte jamais ses quarts d'heure à boutonner son gilet élimé. Quand, par déveine, le mercredi s'est associé avec le mardi, il remet ça. Soulevant délicatement cet avant-bras douloureux qui coince le pan de laine indiscipliné. Lysette le regarde faire sans jamais dire. L'air de s'en remettre à cet étranger qui aurait l'âge d'un petit-fils dévoué. Parfois, elle fait connaître sa fatigue de trop d'exercices, trop de genoux-flexions dont elle ignore les bienfaits sur son corps frêle et fatigué. Même pas une voix, juste un son que le rejeton d'adoption décrypte à la seconde. Alors il la rassure. Lui promet, la main sur son épaule trop emmitouflée, qu'il la laisse au repos. "Vous avez bien travaillé aujourd'hui, je suis content". Le quart d'heure suivant est dédié aux souliers d'acier que le petit bout de femme assis pour l'éternité ne lassera plus jamais. Le tableau est religieux. Lysette le regarde de là-haut. Elle est toujours un peu ailleurs, Lysette. Accroupi, son bienfaiteur noue méticuleusement les flots. Comme il l'avait fait hier, comme il le refera demain, puis se redresse pour rouler le fauteuil jusqu'à la salle d'accueil. Jusqu'à ce que l'ambulancier emporte cet équipage indifférent aux autres. 

Je n'oublierai pas Roland et sa poche d'urine facétieuse. Il ne savait pas, Roland, ou avait oublié que l'objet bilieux, fixé à sa ceinture par un urologue en mal d'alternatives,  n'appréciait pas d'être brimbalé. Et quand bien même... Comment y faire avec tant de ficelles quand un kiné attend de votre carcasse usée qu'elle s'agite comme au temps des bals masqués, des belles à faire valser.
Roland est anéanti. Le crochet a sauté tandis qu'il débutait son exercice et il sait déjà qu'il n'aura pas assez de souffle pour ressasser sa confusion, rabâcher ses excuses. La salle est pleine à craquer et l'odeur, sans pitié, s'est répandue dans l'atmosphère aussi vite que le liquide jaunâtre sur le sol plastifié. Toute la crainte dans le regard de Roland de l'infamie à venir, la panique dans ses gestes déjà tremblotant, bientôt les regards apitoyés à affronter. Ses plaintes psalmodiées en disent long sur sa certitude à avoir rompu l'équilibre des éléments tout autour. Il est en colère contre lui-même; ça ne se fait pas, passés les quatre-vingts ballets, de lâcher ses sphincters, de laisser s'exprimer le naturel. Encore un peu et il crèverait de honte. Mais c'est sans compter sur le geste prompt de kiné2. La jeunesse a tué dans l'oeuf toute velléité de la vieillesse à rougir, tout risque pour l'ancien de subir, sans broncher, le déshonneur.
Les rouleaux de papier saisis en deux temps trois mouvements agiles ont absorbé avant même que Roland ne s'exerce à un troisième râle. Une escouade de rippeurs n'aurait pas été plus efficiente. Kiné2 étouffe les mots apitoyés: "Ce n'est rien, Monsieur, ça arrive tout le temps. Voyez, il n'y a plus rien". A son oreille: "J'ai regardé autour, personne n'a rien vu. S'il y a un autre problème, vous me le dites, pas de souci". Le clin d'oeil discret me touche à l'âme. 

Lysette et Roland reviendront demain et après, observer ce théâtre de toqués. Leur médecin ne leur en n'a pas laissé le choix. Et la mouche observera encore ce ballet.

Mon J-14 fut délicieux. Pas seulement parce que je pédale à nouveau mais parce que je vole, d'une scène d'humanité à l'autre.


SgS.



vendredi 19 juin 2015

Régime sans liquide et à l'arrache



Toujours un plaisir que cette jambière
rafraîchissante après quelques efforts timides.
Profitez-en, emmagasinez du plaisir,
il vous servira pour la suite. Les bonnes choses, vous le savez,
ont une fin. Vous ne regarderez pas longtemps le JT ainsi prélassée.

J'ai testé pour vous la torture physique et psychologie. Pas Guantanamo non plus mais tout de même...

Ou comment faire corps avec une jambière en velcro et barres d'acier, fourrée de poches de glace la plupart du temps? Un peu comme si en pleine danse, une partie de votre anatomie était subitement cryogénisée et qu'il vous fallait finir votre fox trot.
Et mes nuits ne sont pas moins contrariées que mes jours. L'entourage trinque de concert. Un conseil: prévenez tout de suite le mari-compagnon qui partage votre lit que je vous conseille king sise, que les moutons à compter vont vite envahir votre piole: eh oui! patience et abstinence seront de mise ces temps-ci. Sauf contorsionniste professionnel. Quant au minot-toutou-matou qui anschlusse régulièrement votre couche sur les coups de 3h le mat', cette affaire devrait être réglée sous peu. Car ainsi corsetée dans ce costume d'estropiée convalescente, vous devriez vite devenir un remède contre les câlins tièdes sous couette. Le velcro, ça pique.


Dans tous les cas il va falloir vous faire à cette moitié de scaphandre greffée à votre peau. Une dizaine de jours. Ne serait-ce que parce que votre jambe, et votre genou par incidence, doivent encore faire le piquet plusieurs heures d'affilée et que l'accessoire aussi intrusif qu'encombrant vous évitera la luxation des nuits agitées. Sans même songer au coffret cinquante variantes de smoothie charnel, un simple changement de position pourrait vous faire fendre la nuit d'un cri de chouette effraie.
Tirer profit de ces petits désagréments et faites vous du bien en savourant déjà les insolentes mille grasses mat' à venir si toutefois vous avez eu l'ingénieuse idée de prendre vos rencards kiné aprés la pause méridienne et d'inscrire le petit dernier à la cantine.



J+10: après les bienfaits du froid sur toute votre jambe, les gentillesses des kinés attentionnés et les petits écrasements de ballon avec votre genou désormais verrouillé/déverrouillé, il est grand temps d'aller vous faire voir chez votre médecin traitant. Si les infirmières à domicile ont jusqu'ici surtout veillé à vous liquéfier le sang et à s'assurer que vos pansements ne deviennent pas des nids microbiens sur le point de vous refourguer un staphylocoque doré, il revient à votre doc d'ôter ces petites bandelettes blanches nommées strips américains qui vous relient les deux versants d'épiderme sectionné par la lame aiguisée du chirurgien. L'occasion, enfin, de voir comment a bossé l'artiste Edouard.


Je vous le dis tout net, l'instant fut gore. J'ai pas eu de bol. Mon doc a 13 ans! Non bon allez, vingt de plus mais alors tout juste. Donc si je calcule les neuf ans, l'internat et les fiestas, il doit avoir signé, hier, la reprise du bail du retraité sage et végétalien qui avait fini par devenir presque mon ami. Autant dire que le très jeune toubib, sympathique au demeurant et branché en permanence sur du 220V n'en a pas forcément vu passer des masses de genoux balafrés tout frais.
Vous avez déjà fait le cobaye? Rien qu'une fois...


Sachez profiter de ces instants de douceur. Quelques patches à impulsions,
un petit massage de mon quaterback...
Le J+15 reste gentil, c'est ensuite que ça se gâte méchamment. 


J'ai senti que mon sang se tirait, j'ai eu très chaud et ma tête a subitement fait le poids d'une enclume. "Oulah! vous me feriez pas un petit malaise vagal vous?" qu'il a lancé, le bleu. J'ai hésité.
Le choix entre beugler comme une damnée ou le taper. Fort, jusqu'à ne plus l'entendre respirer, un truc dans le genre. Je suis restée digne. Ma fille m'accompagnait ce jour-là pour un rappel de vaccin. Je me suis rappelée la grande scène de scout servie plus tôt sur le "rien du tout" qui l'attendait; je me suis remémorée mes encouragements à montrer sa grande bravoure, j'ai entendu l'écho de mes bons conseils lui dire que se cabrer ou vociférer comme une hystérique se retournerait forcément contre elle puisque ses muscles contractés empêcheraient la progression de l'aiguille. Je vois encore sa détermination: "Promis je serai forte!" J'aurais alors eu l'air fin à insulter le médecin avant de lui allonger une droite et de sauter dessus à pieds joints après lui avoir broyé les deux genoux. Ou comment se ruiner une carrière de maman ange-gardien!

Pourtant, vous allez forcément abonder dans mon sens: ce furieux aimable méritait grandement le quadruple de ce déchaînement de violence contenue. Pas de liquide physiologique, rien, aucun petit-quelque-chose de magique pour assouplir les chairs, humidifier les attaches, dissoudre la colle, détacher doucement les liens pendant que nous aurions deviser sur le réveil de quinze secondes de Philae, le 49.3 préféré de Valls, le grand-père compagnon de la Libération de Julie... Rien.
Il a tiré ce sauvage. Après dix jours de collage, dix jours de suintements séchés, dix jours de croûte en constitution. A vous faire jouir un marquis de Sade.
Ce qui devait arriver arriva. La plaie s'est rouverte en partie, et à l'instant où j'ai posé mes mirettes exorbitées sur le résultat de ce travail de sanglier, le liquide tiède qui gonfle mes veines, alimente mon corps en oxygène, se charge de garder mon cerveau en éveil, s'est échappé. Bien rouge, presque violet, visqueux à souhait, comme s'il attendait ce puits de lumière depuis toujours. Mon déjeuner est remonté, s'est arrêté à la trachée. J'avais envie de cogner cet excité de boucher. "Vous voulez qu'on fasse une pause? Je vais prendre votre tension, vous m'avez pas l'air bien".

Un petit 9,5.
"On va remettre quelques strips je pense. C'est un peu ouvert. Allez, dans deux-trois jours ce sera fermé. Elle est belle cette cicatrice".
Un peu ouvert! A l'échelle de mon exaspération, de ma déception, de ma fureur étouffée dans l'oeuf, l'entaille me laissait entrevoir mon tendon d'Achille.   
Deux-trois jours! C'est exactement le temps qu'il a fallu à la formation d'une concentration de petites bulles de lymphe pour venir troubler un peu plus mes jours et mes nuits. Celles qui vous démangent et vous grattent jusqu'au sang.
Allergie aux composants. Me manquait plus que ça! Cette fois, j'ai moi-même pris soin de tout décoller après avoir vidé le ballon d'eau chaude dans la douche et une trentaine de topettes de liquide physio sur l'ouverture béante.
J'ai fini par avoir sa peau à ma balafre contrariée. Fini par lui fermer le clapet.  Avant le staphilo. Mains liées dans le dos!
Non, pas Guantanamo mais quand-même...
Visez moi ce travail!
Elle se déguste sans faim! Allez j'avoue avoir un peu
forcé sur les filtres et aggravé l'aspect
peu ragoûtant mais la réalité, les premiers jours suivant
l'arrachage des strips, est très proche du cliché.
Surtout qu'à cet instant précis, l'allergie n'est pas loin
et que mes ongles s'apprêtent à gratter cette jolie plaie à vif. Un régal!

SgS.

lundi 1 juin 2015

Entre les mimines de mon quaterback...


Optez pour une date d'intervention durant la belle saison.
Un bel ensoleillement printanier par exemple. Ne serait-ce que pour
bénéficier des bienfaits de quelques
rayons sur l'épiderme. Même si une seule guibole en profite.
Ensuite... attendez d'être servi!

"Allez! Le plus dur est fait. Y a plus qu'à..." 
C'est quand en guise de "bon vent" à J+1 le chirurgien vous envoie tous ses encouragements pour la séance de rééducation qui débute le lendemain de l'intervention que vous vous dites que le doc Édouard est décidément un sacré déconneur.  Mais trois secondes suffisent à vous rendre compte que vous vous marrez seule. On plaisante pas avec une ligamentoplastie; selon l'avis des experts. Pas de temps à perdre, des pyramides de marches sont encore à dévaler pour éviter les fameuses adhérences des chaires et accessoirement... l'engourdissement cérébrale de la malade. 
Tout cela se fera genou de traviole, cannes en main, guibole engoncée dans une attelle XS, rictus de douleurs et les cargaisons d'insultes étouffées qui vont avec... mais ça se fera.
Je hais les bien-portants.

Du coup mon front perle de nouveau. C'est devenu une habitude depuis que sur mon anatomie jusqu'ici sans handicap majeur, un chirurgien a pris sur moi de détourner un bout de tendon de son usage initial pour en faire un ligament croisé fixé dans le fémur pré-percé. Au réparateur de machine humaine déglinguée de remettre désormais tout ça sur pied.

Suis sceptique. Allez comprendre... dans mon état. 


Vous quitterez Edouard et votre chambre d'hôpital non
sans le feuillet des mille consignes du kiné de service.
Après les rayons du soleil sur transat, les exercices sur tapis de sol.
Rasoirs mais efficaces.

Au lendemain de l'affront chirurgical, la prise en main dans l'antre des mécaniques d'occasion est sans sommation. Tout juste remise d'un épisode épique de la veille qui avait consisté à tenter de me doucher. Un geste si anodin du quotidien devenu une épreuve de kho-lanta. Deux tabourets et un être humain dans une même cabine ce sont, il faut le savoir, deux éléments de trop en un même lieu confiné. J'ai pas trouvé mieux: un pour s'asseoir, l'autre pour y poser la jambe droite tendue et légèrement relevée de manière à ne pas mouiller les pansements. Un exercice de contorsion frisant le burlesque quand il ne manque pas de vous ruiner une mâchoire sur la faïence et vous provoquer deux lumbagos en un. J'aurai dû filmer cet instant "auto-infamant". Mais est-il nécessaire de vous préciser que le chirurgien préfère ne pas vous voir revenir pour un tendon fraîchement fixé, à nouveau arraché? Gaffe, gaffe, gaffe sera le mot d'ordre des longues prochaines semaines. 
 
Je vous passe la séquence d'essuyage à cloche-pied après avoir zigzagué entre deux sièges détrempés et négocié les différences de niveau entre sol et receveur. Tous ces petits détails qui faisaient votre fierté de décoratrice d'intérieur improvisée lors de la conception de la pièce d'eau... Quiconque a vécu ces heures aussi absurdes qu'éprouvantes peut ensuite tout accepter de ses futurs manquements à sa dignité la plus intime. Quiconque a vécu situation similaire songera aussi, à l'avenir, à se construire une cabine deux fois plus spacieuse. Pensez-vous infirme, mutilé, inapte, cul-de-jatte lors de vos prochaines séances shopping chez Leroy Merlin. Vous vous rendrez assurément service.
C'est décidé: je ne me lave plus jusqu'à la guérison. À moins d'être invitée par Mémé à la maison de retraite. Ils ont les mêmes sièges fixés au mur que dans ma regrettée douche d'hôpital.

J'en n'ai donc pas fini avec la maltraitance de mon moi. Car s'en remettre aux machinistes de votre charpente équivaut d'emblée à admettre votre propre vulnérabilité. Ce qui, à la moitié d'une existence jusque-là totalement valide, aurait vite fait de vous torpiller un moral d'acier. Et je reste polie.

J+2: on se défait de tous les nouveaux accessoires. Béquilles, attelle.... "Mettez tout de côté et allongez-vous sur le lit".  Les mains du kiné que j'avais pourtant déjà pratiquées pour la préparation à l'opération ont désormais l'air d'avoir quadruplé de volume.
 Plus elles s'approchent plus elles sont immenses. Des palettes de gardien de but. Et les voir ainsi s'agiter autour de mon genou rafistolé de l'avant-veille me rend nerveuse.
Première étape que le réparateur au polo siglé de son petit nom vous invite à franchir promptement : retrouver la commande "verrouillage du genou". Ce qui veut dire contracter son quadriceps (muscles de la cuisse) et agir sur la rotule jusqu'à "friper la peau" (sic). Fastoche.
Que non! La première sensation est fort désagréable. L'impression qu'un électricien-stagiaire a sectionné les mauvais fils et que la communication est rompue. Que l'ordre parti du cerveau ne parvient plus à votre jambe.
 
Les patches à impulsions électriques sont reliées à
un boitier à commandes. On vous laisse
même jouer avec le plus et le moins. Envoyez la purée, on s'y fait!

Pas de panique! Aussi déconcertante fût-elle, la sensation ne dure que quelques jours. Comptez en trois-quatre. Vous parviendrez alors à nouveau, en écrasant un coussin avec votre genou, à réduire l'espace entre le dessous de la jambe et la table. La paluche du quaterback s'y glissera même de temps à autre pour vérifier la réduction de l'écart. Et alors vous vous sentirez enfin digne de ces quelques centimètres grappillés. Un rien ravit quand on est diminué.

Ensuite il s'agit surtout de gérer l'oedème sous cutanée qui chaque jour en fin de journée vous permet de réchauffer un potage sur votre quille à quai.  Donc après dix bonnes minutes d'une séance de patches collés sur les muscles et reliés à des appareils à impulsions électriques, vous saurez apprécier la poche d'air froid pulsé avec laquelle les mimines de bûcheron envelopperont -délicatement peut-être- votre jambe.
Ce plaisir minuscule de l'existence se renouvellera chaque jour en fin de séance. Du moins je me le souhaite.

Car j'ai aimé ça tout de suite.  Comme la morphine, comme le zèle de mes blouses blanches, comme les petitdej VIP.

On verra plus tard pour les sujets qui fâchent...
          SgS